Le festival du Film arabe de Fameck, dont la 34e édition démarre ce jeudi soir, met à l’honneur une jeune génération de cinéastes, avec l’accent mis sur les femmes. Et fait du Maroc son pays invité, un mois après le séisme.
Mahjouba Galfout a traversé la moitié de la durée de vie du festival du Film arabe de Fameck à ses côtés. Quand la programmatrice y a pris ses fonctions en 2006, le pays à l’honneur cette année-là était le Liban. Mais, à moins de trois mois de la tenue de l’évènement, le conflit israélo-libanais a éclaté, obligeant l’équipe à raboter, par la force des choses, le programme. «Tous nos contacts avaient été coupés d’un coup, les films n’étaient plus disponibles et nous avons dû faire une croix sur plusieurs invités», se souvient Mahjouba Galfout. Heureusement, rassure-t-elle, l’évènement n’a, depuis, plus rencontré d’obstacles aussi dévastateurs et imprévus (hors pandémie).
Le séisme terrible qui a ravagé l’ouest et le sud-ouest du Maroc, dans la nuit du 8 au 9 septembre, n’a ainsi pas changé les plans du festival : pour sa 34e édition, inaugurée ce soir, c’est le Maroc qui fait figure de pays invité, pour témoigner de l’«immense vitalité» des auteurs de ce pays, fer de lance de l’industrie cinématographique dans le monde arabe. Pour Mahjouba Galfout, mettre ce pays en avant est «un soutien supplémentaire» que le festival lui apporte.
La programmatrice définit le festival comme «un lieu d’expression et de rencontres autour de cultures et de pays que, finalement, l’on connaît peu». Ce qui lui fait d’ailleurs souhaiter «beaucoup de monde en salles et, surtout, de nouvelles personnes», en assurant : «La première expérience est toujours la plus difficile : on est dans un quartier populaire, on voit un cinéma encore émergent… Mais habituellement, lorsque les personnes viennent une fois, elles reviennent !»
Avec une belle programmation de 43 films courts et longs, et «pour tous les âges», mais aussi «de la fête, des rencontres, un salon de thé, un espace livres, des expositions, des rencontres avec artistes et de la restauration tous les soirs», Fameck se sent fier de fédérer, autour d’un noyau de cinéphiles, le plus large public possible.
Pour sa 34e édition, le festival du Film arabe de Fameck met l’accent sur une nouvelle génération de cinéastes, hommes et femmes, qui investissent avec force le paysage cinématographique des pays arabes et qui portent haut leurs couleurs jusque dans les plus grands rendez-vous du cinéma mondial. Comment le festival s’est-il fait le témoin de cette évolution ?
Mahjouba Galfout : Quand je suis arrivée au festival, il y a une quinzaine d’années, on avait beaucoup plus de mal à accéder aux films, déjà. Beaucoup d’entre eux n’avaient pas accès à la distribution en France ni en Europe, en particulier pour les films indépendants, qu’on allait chercher nous-mêmes dans les différents pays. Ces dernières années, on a une vraie visibilité et une reconnaissance grâce à une génération de jeunes cinéastes, dont beaucoup de femmes. Leurs films, que l’on a vus dans de grands festivals comme Cannes, on les retrouve à Fameck. Tout au long de nos 34 ans d’existence, on s’est constitué un réseau; aujourd’hui, on reçoit énormément de films.
Depuis sa naissance, le festival a aussi connu beaucoup d’évolutions dans l’industrie : l’arrivée du numérique, qui nous a facilité les choses en termes d’accès aux films et de transport des copies; l’essor de la production cinématographique; le nombre grandissant de coproductions avec des pays européens, permettant plus de budget et une meilleure distribution. La réussite de ces jeunes auteurs novateurs et audacieux, c’est une reconnaissance pour tout le cinéma du monde arabe.
Si l’on devait pointer un dénominateur commun chez nombre de ces jeunes cinéastes, c’est leur intérêt pour ce qui touche à l’histoire et à la mémoire. Est-ce en lien avec la reconnaissance dont ils profitent ?
Dans les pays du monde arabe, les productions ont commencé à prendre forme après l’indépendance, soit dans les années 1950 et 1960. C’est un cinéma récent; les anciens réalisateurs avaient un regard marqué par l’histoire, tandis que les jeunes auteurs, pour beaucoup, vivent en Europe ou aux États-Unis. Ils ont un regard sur leur pays qui est totalement différent, ce qui leur donne peut-être plus de facilité pour parler du passé et apporter une nouvelle vision à ces pans de l’histoire qui, pour certains, ont été oubliés.
Une autre tendance : près de la moitié des longs métrages sélectionnés sont réalisés ou coréalisés par des femmes, et vous dédiez une table ronde au « vent de féminisme » qui déferle sur le cinéma arabe. L’histoire s’écrit ou se réécrit aussi à travers leur regard, qui est nouveau?
Absolument. Prenez un film comme Machtat, de Sonia Ben Slama (NDLR : en compétition pour le Prix du documentaire) : c’est un film à la fois sur la mémoire, sur la transmission d’une culture et sur la place des femmes dans la société tunisienne. J’ai été très touchée par ces femmes de la même famille mais de différentes générations, dont les parcours de vie et la vision de leur culture sont très différents.
Je tiens à préciser que, dans notre travail, on visionne d’abord, puis on voit les thématiques se dégager au fur et à mesure des œuvres qu’on sélectionne, voire après coup. Mais le cinéma que l’on diffuse est très social, de façon générale. On le voit dans des films qui abordent, par exemple, l’enfance dans un contexte de guerre, un thème à l’affiche de plusieurs films cette année, réalisés par des femmes. On a souvent montré des films d’hommes qui parlent de femmes, maintenant, on a des femmes qui parlent de femmes! Et l’on voit une tendance, chez les cinéastes hommes, à adopter un point de vue intimiste lorsqu’ils racontent des vies de femmes.
Le festival a toujours eu un lien particulier avec le Maroc. En faire le pays invité cette année était une évidence
Le Maroc est le pays invité, cette année. Comment avez-vous réagi à la nouvelle du séisme survenu début septembre ?
Nous commençons la programmation en décembre; l’idée de rendre hommage au cinéma du Maroc a donc été élaborée de longue date. Le festival a toujours eu un lien particulier avec le Maroc. En faire le pays invité cette année était une évidence : la production y est très forte, résultat d’une volonté politique qui a commencé il y a plus de vingt ans avec la mise en place d’un système d’avance sur recettes. À l’échelle du Maghreb, et jusqu’au Moyen-Orient, c’est l’une des plus fortes industries cinématographiques, avec énormément de salles et de festivals de qualité.
On soutient le Maroc comme on peut, avec les moyens dont on dispose – ce que font aussi les artistes mobilisés sur place –, mais on n’oubliera pas. Les territoires touchés par ce terrible séisme ont été montrés dans un certain nombre de films programmés cette année, qui rendent un bel hommage à ces paysages magnifiques et à la culture berbère. De son côté, le festival a un partenariat avec la Fondation de France pour un appel aux dons. On entre dans la période hivernale, et l’on sait que, dans le Haut-Atlas, il fait froid, tandis que des secousses continuent de se faire sentir. Beaucoup de gens sont mobilisés sur place, mais nous nous devons aussi d’apporter notre soutien.
Quatre des cinq films en compétition pour le Grand Prix proviennent du Maroc. L’un d’entre eux s’intitule Murs effondrés, un titre qui a une résonance particulière aujourd’hui…
C’est justement l’un des films qui parlent de cette région. C’est un film autobiographique de l’auteur documentariste Hakim Belabbes, que l’on connaît bien et qui fait une nouvelle incursion dans la fiction en racontant son enfance, à travers de beaux personnages. Mais je pense surtout à un film comme Déserts, de Faouzi Bensaïdi; ce film-là met vraiment en
avant le territoire touché, très compliqué d’accès, et ses paysages. On y voit la rencontre du Maroc très moderne, au nord, et de l’ »autre » Maroc, celui des villages reculés du sud.
Beaucoup de films se tournent dans la région touchée par le séisme. Quelles conséquences cela aura-t-il sur l’avenir de la production ?
La reconstruction prendra du temps, c’est sûr. On imagine déjà que certains films en production ou en préproduction sur ce territoire ont été retardés, peut-être indéfiniment. La ville de Ouarzazate, capitale marocaine du cinéma qui abrite notamment le Bureau d’accueil des tournages, a été touchée, mais pas aussi durement que dans la région entre Marrakech et Agadir.
Tout le monde a pu constater, après le séisme, que le Maroc est une terre très solidaire. Les artistes se mobilisent, mais ils affichent aussi une envie d’avancer et de continuer. Les invités qui viendront à la rencontre du public savent que le sujet sera abordé, et il est important pour eux de parler de leur pays et de ce qu’il s’y passe.
Jusqu’au 15 octobre. www.festival-fameck.com