Contre les chants jugés homophobes dans les stades, « des sanctions très brutales peuvent être contre-productives » selon le sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste des supporters, qui appelle à plus de « pédagogie » afin d’éviter le « dialogue de sourd » qui a découlé de l’arrêt des matches en 2019.
Le débat autour de certains chants semble de plus en plus prégnant ces dernières années. Comment l’expliquer ?
Nicolas Hourcade : Certaines injures existent depuis une quarantaine d’années : elles se sont intensifiées dans les années 80 avec l’émergence de supporters plus engagés, notamment les groupes ultras. Comme ils sont dans une logique de compétition avec les supporters adverses, ils utilisent volontiers un registre insultant. Il n’y a pas d’intensification des insultes considérées comme homophobes dans leur répertoire, même plutôt une diminution ces dernières années, mais par contre la sensibilité de la société à ces chants a évolué. Des slogans qui ne posaient pas problème il y a 20-30 ans, soulèvent aujourd’hui l’indignation d’une partie des observateurs et des amateurs de foot.
Peut-on faire un parallèle avec les chants racistes ?
Dans les années 1980-90, les groupes de supporters utilisaient tout ce qui était possible pour injurier l’adversaire, y compris des insultes à caractère raciste. À partir des années 90, ces insultes ont disparu, sauf dans des groupes ouvertement d’extrême droite. Il y a eu des actions des pouvoirs publics et sportifs, une sensibilisation et une prise de conscience des associations de supporters. On n’a plus en France d’expression raciste publique dans les stades sauf de la part d’individus isolés. Il n’y a pas de chants collectifs, comme en Italie par exemple.
Et concernant les insultes homophobes ?
Un certain nombre de groupes ont arrêté ces dernières années d’utiliser le terme +pédé+, parce qu’ils ont pris conscience que c’était forcément homophobe. Un large consensus existe dans la société actuelle sur le caractère inacceptable de ce terme. En revanche, les polémiques autour des slogans homophobes en 2019 avaient montré que l’usage du terme +enculé+ fait l’objet de débat: pour de nombreux supporters c’est un terme insultant du langage courant, toléré dans de nombreux espaces sociaux. Ce qui pose une question de fond.
Laquelle ?
Pendant longtemps, les stades ont été des espaces de défoulement où on se permettait des choses qu’on ne faisait pas ailleurs, sous prétexte que ça ne prêtait pas à conséquence. Maintenant, une posture inverse se développe, cherchant à faire du stade un symbole de ce que serait une société idéale sans violence ni discrimination. Cette volonté d’évolution transparaît dans le contrôle de l’expression et des pratiques au stade.
Les supporters se réfugient souvent derrière leur supposé folklore…
Leur argument est de dire qu’ils utilisent des insultes courantes, comme ils diraient +connard+ ou +bâtard+, sans intention homophobe. Si quelques supporters sont ouvertement homophobes, massivement ce n’est pas ça le problème. Le problème est qu’on est face à des groupes de supporters qui utilisent des insultes en en niant le caractère homophobe ou en ne voyant pas le problème. Les supporters ont l’impression d’être stigmatisés comme homophobes alors qu’ils n’ont pas le sentiment de l’être. L’enjeu est de faire comprendre que même sans intention, certains chants peuvent être problématiques. L’objectif est d’engager une réflexion de fond pour que les homosexuels puissent se sentir à l’aise sur le terrain comme en tribune.
Dans cette optique, sanctionner est-il une bonne idée ?
Je pense que le gros travail à faire prioritairement est un vrai travail de pédagogie, de fond et durable. Pour l’instant, il y a quelques ateliers mis en place notamment par la Ligue mais ce n’est pas suffisant. Un travail d’échange doit se renforcer avec les associations de lutte contre les discriminations, avec tous les acteurs du foot, au-delà des supporters, avec les clubs, qui pour l’instant ne sont pas très moteurs, et les joueurs, pour que tout le monde prenne conscience que certains registres lexicaux ne sont plus possibles. Dans un deuxième temps, si les problèmes perdurent, des sanctions pourront être pertinentes. Mais si des sanctions très brutales tombent subitement, elles peuvent être contre-productives comme en 2019. L’arrêt des matches n’avait pas permis d’améliorer la situation. On s’est retrouvé dans un dialogue de sourds. La cause initiale n’avait pas beaucoup progressé.
D’autres pays ont-ils les mêmes problématiques ?
Tout dépend comment le vocabulaire insultant s’est construit. En Angleterre, il joue sur des caractères sexuels mais il peut être plus codé comme sexiste que comme homophobe. Une des spécificités de la France est d’avoir des insultes dans les stades qui peuvent être considérées comme homophobes et d’être en pointe dans la volonté de faire cesser ces chants.