Nouvelle ode douce-amère au cinéma bricolé signée Michel Gondry, Le Livre des solutions brosse aussi l’autoportrait d’un cinéaste au bord de la dépression.
Mais qu’est-il donc arrivé à Michel Gondry, qui a déserté les écrans de cinéma huit années durant ? Certes, le réalisateur français n’a jamais cessé de travailler, en retournant principalement à ses amours d’antan, le clip (Idles, Beck, The Chemical Brothers…) et la pub (HP, Burger King…).
Et s’il a mis le cinéma en stand-by, on a pu récemment admirer son œuvre la plus bouleversante avec la série Kidding (2018-2020), mettant en scène Jim Carrey – retrouvé près de 15 ans après Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) – dans le rôle d’une icône de la télévision pour enfants en pleine crise familiale et en proie à une dépression carabinée. Un indice, déjà, des épreuves personnelles que le réalisateur français a traversées. Et sur lesquelles il revient, tête froide mais cœur brûlant, dans son douzième film.
Marc Becker, le protagoniste joué avec une verve formidable par Pierre Niney, est un avatar à peine déguisé de Michel Gondry. On rencontre le jeune et triomphant réalisateur au moment de sa vie où il bute sur un obstacle : ses producteurs, plus qu’insatisfaits de son prochain film. Mis à la porte, Marc la franchit, non sans avoir planifié de voler les rushes et de s’enfuir dans les Cévennes, chez sa tante, Denise (Françoise Lebrun).
C’est dans et autour de la maison de campagne que Marc terminera «son» film, avec l’aide de sa monteuse, Charlotte (Blanche Gardin), et de son assistante, Sylvia (Frankie Wallach). Loin du monde, sa créativité se manifeste à nouveau. Un peu trop. Tellement, en fait, que, pour mettre de l’ordre dans ses épiphanies, il se lance parallèlement dans l’écriture d’un guide pratique pour résoudre ses problèmes : Le Livre des solutions.
«Je me demande comment j’ai pu me retrouver dans la maison de ma tante avec une caméra, des techniciens chevronnés, Pierre Niney, Blanche Gardin et tous les habitants du village pour raconter cette histoire. Georges Bermann, mon producteur, a accompli un miracle», confesse Michel Gondry dans le dossier de presse du film. Autoportrait d’un auteur au bord de la dépression – et qui force le destin en arrêtant son traitement médicamenteux –, Le Livre des solutions renvoie son auteur à l’expérience vécue sur L’Écume des jours (2013). Pour le cinéaste-poète-bricoleur, adapter le chef-d’œuvre de Boris Vian était le projet de rêve; en postproduction, celui-ci s’est transformé en «cadeau empoisonné», comme il le raconte dans le magazine Première : «J’avais l’impression de laisser tomber Boris Vian, de ne pas être à son niveau (…) On a commencé le montage et j’ai arrêté mon traitement. Là, mon esprit a explosé. Un mélange de mégalomanie et de peur (…) Un psychiatre m’a diagnostiqué bipolaire peu après.»
Je n’utilise jamais mes films pour régler mes comptes, mais (…) je me défoule sur Marc, qui me représente
Le Livre des solutions confronte ainsi Gondry à nombre de situations réellement vécues à l’époque, avec tendresse et humour, du refus total de se confronter au montage de son film à l’idée d’en faire «un parfait palindrome» («On commence par la fin, on finit par la fin, et on rejoint le début au milieu»). Ou encore la lubie d’engager Sting comme bassiste sur la B.O. (dans L’Écume des jours, on entendait la basse de Paul McCartney), l’achat d’une maison dans le but de la transformer en studio de cinéma, ou encore une séquence hilarante qui voit Marc s’improviser chef d’orchestre en demandant aux musiciens d’«interpréter les mouvements de (s)on corps» en musique. «Chez Marc, tout n’est qu’expérimentation et solution», résume Michel Gondry, précisant en outre : «Je n’utilise jamais mes films pour régler mes comptes, mais, au contraire, j’essaie d’être tendre avec mes personnages, et je me défoule sur Marc, qui me représente.»
Quand le réalisateur se remémore ces années difficiles, il en parle désormais comme de sa «période Marc», soit un moment de sa vie où son «arrogante confiance» devait cohabiter avec la terreur profonde et insondable de (se) décevoir. Marc est envahissant, borné et en proie à des accès de colère terribles, mais sa fantaisie et sa volonté de «réduire les choses à leur essence», qui laissent entrevoir son cœur pur, lui valent d’être considéré avec beaucoup de sympathie par son entourage.
Dans cette nouvelle ode douce-amère au cinéma inventif et bricolé, Michel Gondry glisse même sa propre invention à la Boris Vian : le «camiontage», une vieille fourgonnette dont les commandes pilotent une table de montage. Un point final désopilant pour conjurer une bonne fois pour toutes l’expérience L’Écume des jours. À 60 ans, le réalisateur dit avoir eu peur de retomber dans un traumatisme avec Le Livre des solutions. «Mais j’ai senti que toute l’équipe était derrière moi, les acteurs compris. Ils voulaient comprendre et m’aider à comprendre ce qu’il s’était passé dans ma tête il y a huit ans. Ce tournage est ainsi celui que j’ai préféré.» Le film, lui, montre le meilleur de Gondry depuis Be Kind Rewind (2007), dont il est un cousin pas si éloigné.