En présentant lundi à la Mostra de Venise Coup de chance, son 50e film et le premier en langue française, Woody Allen accomplit le rêve de «devenir un cinéaste européen», après avoir été rejeté par l’industrie américaine.
Son arrivée hier à Venise, pour présenter, hors compétition, Coup de chance, sonne comme une revanche pour Woody Allen sur une industrie américaine qui l’a rejeté. Le réalisateur de 87 ans a expliqué en conférence de presse se sentir comme «un véritable cinéaste européen» en faisant ce film, à l’instar de ses modèles, qu’il a souvent cités : François Truffaut, Federico Fellini, Jean-Luc Godard, Ingmar Bergman, Michelangelo Antonioni et Alain Resnais. Multirécompensé tout au long d’une carrière de plus d’un demi-siècle, avec une moyenne d’un film par an, le cinéaste new-yorkais a remporté quelque 70 prix prestigieux, dont quatre Oscars. Pourtant, la quasi-totalité de la profession lui a tourné le dos aux États-Unis après des accusations d’agression sexuelle lancées par Dylan Farrow, qu’il a adoptée, enfant, avec son ex-femme Mia Farrow.
Contrairement à Roman Polanski, dont le dernier film, The Palace, a été présenté également à Venise en son absence et qui fuit depuis 40 ans la justice américaine, après une condamnation pour des relations sexuelles illégales avec une mineure, Woody Allen n’est pas inquiété ni poursuivi par les tribunaux. Et aucune enquête pour agression sexuelle le concernant n’a abouti. Complètement isolé en son pays, Woody Allen est depuis longtemps adulé de notre côté de l’Atlantique – surtout en France – pour son humour et ses talents d’artiste et d’intellectuel pour dépeindre les mœurs, l’intimité et les névroses de milieux juifs new-yorkais. Mais depuis près de vingt ans, il ne tourne quasiment plus aux États-Unis et son succès en Amérique n’est plus au rendez-vous. En 2014, le réalisateur confiait au magazine français L’Obs que «(s)on rêve (était) devenu réalité : devenir européen, ou presque», en tournant et finançant ses films à Londres, Rome, Barcelone, Paris, jusqu’à être «adopté par l’Europe».
Tourner en français
Avec ses airs de comédie française dans laquelle transparaît la patte du cinéaste, Coup de chance est une variation teintée de thriller sur l’amour et le hasard, dans les beaux quartiers de Paris. Le film s’inscrit dans la veine de Match Point (2005), le film tourné à Londres qui a inauguré sa période européenne. Dans la capitale française, il avait déjà tourné Midnight in Paris (2011), avec un casting français et anglo-saxon. Mais c’est son premier film à être tourné entièrement en langue française. Melvil Poupaud et Lou de Laâge y incarnent un couple très bourgeois. Elle va retrouver un ami de jeunesse (Niels Schneider), mais les choses vont déraper lorsque sa mère (Valérie Lemercier) va se douter de leur liaison.
«Quand j’étais jeune, les films qui nous impressionnaient le plus étaient les films européens, français, italiens, suédois… Nous voulions tous faire des films comme les Européens», a déclaré le réalisateur en conférence de presse. Et malgré l’expérience, tourner en français n’a pas été difficile, a assuré Woody Allen, expliquant que les acteurs pouvaient s’adresser à lui en anglais. Quant à les diriger, «rien qu’avec le langage du corps et les émotions des acteurs, je peux me rendre compte s’ils sont juste ou non», a-t-il assuré. Le film, nouvelle variation sur l’amour et le hasard, est attendu dans les salles luxembourgeoises le 27 septembre.
Retour à New York?
Après avoir été le compagnon de Diane Keaton dans les années 1970, à l’affiche de huit de ses films, dont Annie Hall (1977) et Manhattan (1979), Woody Allen a partagé la vie de Mia Farrow durant douze ans, et lui a offert un rôle dans 13 de ses films. Jusqu’à l’explosion de leur relation en 1992, lorsque Mia Farrow découvre des photos de sa fille Soon-Yi, nue. La jeune femme d’origine sud-coréenne, adoptée par Mia Farrow lors de son précédent mariage au chef d’orchestre américain André Previn, a alors 21 ans. Woody Allen et Soon-Yi Previn se sont mariés en 1997, ont adopté deux enfants et sont toujours ensemble aujourd’hui.
C’est au cœur de batailles en justice entre les clans Allen et Farrow que Dylan Farrow a accusé Woody Allen d’attouchements sexuels, le 4 août 1992, lorsqu’elle avait 7 ans. La justice avait rejeté finalement ces allégations tout en pointant la «conduite extrêmement inappropriée» de Woody Allen, un homme «pas digne de confiance» et «insensible».
Coup de chance apparaît comme un pied de nez à l’industrie américaine qui l’a mis au ban. Interrogé hier à Venise sur l’idée de tourner à nouveau à New York, la ville où il est né et où se déroulent la plupart de ses films, Woody Allen a ironisé : «J’ai de très bonnes idées pour New York, et si des types sortent de l’ombre et disent : « O. K., on va financer votre film » (…) Ils peuvent lire le scénario, savoir qui joue dedans, qu’ils me donnent juste l’argent et qu’ils partent!» «Si des gens sont assez fous pour être d’accord avec ça, alors je ferai un film à New York!»