Certes, «c’est mieux que dans la rue», souffle Mustafa, un Afghan. «Mais c’est très difficile de cohabiter avec toutes les nationalités, il y a des bagarres»: dans un lycée parisien désaffecté où s’entassent 700 migrants, la situation est devenue «ingérable».
«Chaque communauté a son délégué et on règle cela entre nous. Nous avons fui la guerre, nous voulons être en paix», témoigne en anglais Mustafa, désigné par les siens pour les représenter. Des riverains apportent régulièrement des colis pour les habitants de l’ancien lycée Jean-Quarré, dans le XIXe arrondissement, occupé depuis le 31 juillet.
Mais les gestes de solidarité peuvent dégénérer, dans cet environnement chaotique: lorsque Marie arrive, les bras chargés de sacs qui sont aussitôt stockés dans la réserve commune, un attroupement se forme. Une dizaine d’hommes réclame bruyamment un partage immédiat: les sacs sont déchirés, les vêtements pris à la volée.
«Ils restent là toute la journée», raconte en français Abdelkader, un Libyen. «Dès que des dons arrivent, ils se jettent dessus pour les revendre à l’extérieur.» Ils étaient une centaine début août, ils sont plus de 700 aujourd’hui.
L’austère bâtiment en béton de quatre étages a des airs de prison: dans la cour, une centaine de jeunes hommes -Soudanais, Afghans, Erythréens, Tchadiens, Libyens…- déambulent, jouent au foot, téléphonent à leurs proches.
Une bénévole donne des leçons de français, tandis que des vêtements sèchent au soleil, dans un potager où flânent des poules. A l’intérieur, les anciennes salles de classe sont converties en chambres, tapissées de matelas et réparties par communauté. Les murs sont décrépits, le sol humide.
«Ici, c’est l’Afrique, on a un repas par jour, on dort à même le sol», peste en arabe Abdallah, un des nombreux Soudanais qui squattent ici.
«On est dans l’urgence alimentaire. On a des gens qui ont déjà payé un lourd tribut et une telle promiscuité, c’est pire que du Zola», confie Hachémi Boudrahem, président de l’association la Chorba pour tous, qui distribue chaque jour des repas.
« Un lieu qui craint »
Dans la cuisine, «Mama», une riveraine à la carrure imposante, s’est improvisée chef: elle surveille la cuisson de quartiers de viande dans deux marmites reliées à des bonbonnes de gaz, tout en houspillant ses assistants, qui épluchent des carottes: «J’habite le quartier depuis 40 ans, je suis venue apporter mon aide, mais on ne doit pas tout leur donner, ils doivent faire par eux-mêmes.»
Les migrants de Jean-Quarré savent que leur situation est précaire: le 25 septembre, saisie par la mairie de Paris qui met en avant «un risque grave de sécurité ainsi que des problèmes d’hygiène», la justice leur a donné un mois pour évacuer les lieux.
La mairie promet que les occupants éligibles à l’asile en France -à la différence des ressortissants venant de pays considérés comme «sûrs»- seront hébergés pendant un mois, le temps d’effectuer leurs démarches. En attendant, toutes les semaines, une équipe de la mairie vient chercher des femmes, volontaires pour être relogées dans un centre d’hébergement.
«Nous sortons les personnes vulnérables: les femmes avec enfants, enceintes ou isolées. C’est un lieu qui craint», explique Pierre-Charles Hardouin, en charge des sans-abris à la mairie de Paris, alors que des rumeurs font état de viols, de cas de prostitution, de prix à payer pour dormir sur un matelas ou dans un chambre.
L’autogestion a trouvé ses limites avec l’explosion du nombre de résidents. «Ce lieu, il faut l’évacuer, c’est ingérable. C’est en partie notre faute, on le reconnaît, mais les vrais responsables, ce sont les pouvoirs publics qui n’ont pas mis un centime», juge Hervé Ouzzane, du collectif la Chapelle en Lutte, qui a investi fin juillet le lycée pour y reloger les migrants.
«Les seules personnes qui seront prises en charge par les autorités, ce sont les demandeurs d’asile politique. Les autres, on continuera à s’en occuper nous-mêmes», prévient-il, n’excluant pas de nouvelles actions.
AFP/M.R.