Il fut l’un des plus grands couturiers du XXe siècle, qui a bousculé la mode et la haute couture comme peu auparavant. Dans le musée parisien tout à lui consacré, une exposition montre une œuvre aussi minimaliste qu’épurée et franche en couleurs. C’est «Yves Saint Laurent. Formes», et on y court!
Au tout début, il y eut le Traité d’architecture de l’Américain Louis H. Sullivan (1856-1924), tenu pour le père des gratte-ciel et du modernisme. L’architecte y assurait que «la forme suit la fonction». Autrement dit, la forme est au service de la fonction – un axiome qui a grandement influencé un mouvement architectural comme le Bauhaus mais aussi, de façon constante, l’œuvre d’Yves Saint Laurent (1936-2008). Ce que montre et ce que rappelle la présente exposition «Yves Saint Laurent. Formes», au cœur de son beau musée parisien.
Après «Gold», précédente exposition qui mettait en lumière le solaire et le glamour de l’œuvre du couturier (et qui a attiré au passage 130 000 visiteurs en cinq mois), voici donc «Formes». Présentée par Elsa Janssen, directrice du musée Yves-Saint-Laurent-Paris, qui a aussi supervisé le catalogue Yves Saint Laurent. L’art de la forme, elle magnifie selon elle «le plaisir de dévoiler le créateur abstrait, moderne, radical qu’il était également. Partir à la rencontre de ce qu’il appelait poétiquement ses « fantômes esthétiques », c’est l’assurance de mettre au jour de multiples correspondances avec l’histoire moderne de l’art et des formes.»
YSL, architecte et homme de contrastes
Et Elsa Janssen d’ajouter : «Yves Saint Laurent est un homme de contrastes. Classique et moderne, baroque et minimal, coloriste et maître du noir, son œuvre recèle d’infinies possibilités de lectures.» De son côté, Madison Cox, président de la Fondation Pierre-Bergé/Yves-Saint-Laurent, espère que les visiteurs «vont comprendre l’ampleur du travail de cet homme, et percevront le modernisme qu’il incarne, son caractère contemporain. Cette exposition montre l’intégrité d’un homme dont le travail a des fils conducteurs qui relient tout ce qu’il a fait. Les formes et les volumes font partie de ces fils rouges. Il jouait en permanence avec les proportions. Comme un architecte concevant des structures, il construisait des vêtements avec des tissus.»
En fait, je remets tout en question à chaque collection
En déambulant dans les salles du musée YSL, on découvre et admire une exposition thématique en quatre chapitres «dans laquelle nous essayons de présenter l’entièreté de la carrière d’Yves Saint Laurent, de ses débuts à la fin des années 1950 jusqu’à la fin de sa carrière en janvier 2002, quand il a fermé sa maison de couture», selon les mots de la conservatrice responsable des collections du musée. Dès ses débuts dans la maison Christian Dior dans les années 1950, Saint Laurent imagine avec la ligne «Trapèze» des tenues légères, tenues par les épaules et non pas comme jusqu’alors par la taille. Pointe déjà son goût pour le dépouillement et des réalisations aussi discrètes que rigoureuses.
Des looks intemporels, «impossibles à dater»
Yves Saint Laurent, avec la simplicité de la coupe, la rigueur des lignes et la franchise des couleurs, ce sera une silhouette verticale, essentielle et libérée, de laquelle tout superflu est rejeté. C’est et ce sera aussi l’obsession de tendre encore et toujours vers la pureté de la construction. Dès la première salle, on se rappelle alors des mots de Madison Cox : «Vous verrez que certains looks sont pratiquement impossibles à dater. Même si la mode évolue constamment, il a gardé une ligne de continuité. J’aimerais que la jeune génération le découvre et s’en inspire…»
Ainsi, des tenues monochromes – on est dans les mêmes tonalités –, «on a choisi des pièces monochromes, car justement, c’est la coupe et la matière qui donnent la forme de ces modèles», précise Serena Bucalo-Mussely, responsable des collections du musée En face, cinq combinaisons dont le «jumpsuit» des aviateurs et autres spationautes, transformé en un ensemble d’une seule couleur aux lignes aussi simples que fluides – qui deviendra dans les dernières années 1960 un classique de l’esthétique «chic décontracté». Aussi, dans cette salle, dans deux niches, des chapeaux…
L’objectif d’YSL : «épurer au maximum»
Dans les autres salles, des formes et des couleurs. Là, du rouge; ici, du noir et blanc… Facilement, on voit les influences de Paul Klee, de Mondrian ou encore le trait de Matisse. Encore Serena Bucalo-Mussely : «C’est par la couleur que la forme se construit. On est ici sur des modèles très épurés, très linéaires des années 1950 aux années 1990.» Des robes courtes et droites, rigueur de la coupe, fantaisie des couleurs pour des constructions nouvelles, la diversité des formes.
L’œuvre du couturier, à travers la présente exposition parisienne, pourrait être résumée en trois grandes thématiques : minimalisme, couleurs, et noir et blanc. Mais surtout, à travers «Yves Saint Laurent. Formes», on songe aussi aux mots du couturier : «Mon but, c’est d’épurer au maximum, comme un peintre épure au maximum pour arriver à la perfection de son style, ou comme un écrivain remet tout en question. En fait, je remets tout en question à chaque collection.» Et c’est ainsi qu’Yves Saint Laurent a été et sera encore et encore grand!
«Yves Saint Laurent. Formes». Musée Yves Saint Laurent – Paris. Jusqu’au 14 janvier 2024.
Yves Saint Laurent. L’art de la forme Collectif sous la direction d’Elsa Janssen. Flammarion.