Sébastien Vassant décrypte l’histoire de la nation française telle qu’elle s’est construite depuis 150 ans à travers les migrations successives. Un témoignage salutaire, plein d’humanité.
En 1983, au cœur d’une grande marche pacifiste organisée entre Marseille et Paris pour répondre aux crimes racistes qui agitaient alors l’Hexagone, un étudiant lâchait : «La France, c’est comme une mobylette : pour avancer, il lui faut du mélange!» La réplique est maligne, et surtout, elle a toujours beaucoup de sens quarante ans après, alors que les banlieues s’embrasent à nouveau, qu’une haine décomplexée s’affiche en grand, et que les discours d’extrême droite agitent la peur en étendard, soufflant aux oreilles la même ritournelle : «Eux, c’est pas pareil».
La France, c’est comme une mobylette : pour avancer, il lui faut du mélange!
Saluons donc cette nécessaire piqûre de rappel, l’œuvre de Sébastien Vassant (Juger Pétain et Histoire dessinée de la guerre d’Algérie) qui repart 150 ans en arrière, afin de répondre à une question toute bête mais lourde de sens : être français, ça veut dire quoi? Une enquête qui ne cache pas ses références et dit s’inspirer du travail de Françoise Davisse et Carl Aderhold, auteurs ensemble d’une série documentaire (vue sur France 2) et d’un livre du même nom : Histoires d’une nation. L’idée est simple : mettre l’immigration sous la loupe pour mieux comprendre la France, pays pluriel.
D’emblée, on passe par un préambule qui remonte à 1789, où l’on apprend que le mot «nation», avant la Révolution, n’est employé que pour désigner des peuples d’une même origine. Mais de sujet, on devient ensuite citoyen, et à l’aube de la IIIe République, on cherche à fédérer une population déjà composite car régionaliste (avec, entre autres, l’hymne national, l’école obligatoire, le service militaire). La révolution industrielle de la fin du XIXe siècle (et son besoin de main-d’œuvre) combiné à un retard démographique lancent pour de bon la machine migratoire : du nord au sud, d’est en ouest, la France verra arriver des renforts de l’extérieur, avec en réponse, son lot de clichés et de détestation.
Ici, la démonstration est formelle et tient en une équation qui se répète, entêtante : que l’on soit juifs ou kabyles, que l’on vienne du Sénégal, du Portugal, d’Arménie ou encore de Pologne, tout n’est qu’un éternel recommencement. Depuis la fondation du droit du sol de 1889, l’immigré semble en effet balloté au gré des guerres, des crises, des lois et des discours politiques. On le réclame et on le séduit pour reconstruire, repeupler, aller combattre sur le front… Mais quand l’économie ne tourne plus rond, on le pointe du doigt pour justifier le chômage en hausse et on l’utilise à des fins politiques. Au bout, ce même sentiment d’être «une classe sociale invisible».
Outre son importance pédagogique, le geste de Sébastien Vassant l’est aussi pour sa bienveillance. S’il reste droit dans son approche chronologique, il sait parallèlement se mettre à hauteur d’hommes (et de femmes), s’appuyant sur les témoignages d’enfants ou petits-enfants de Français nés ailleurs (anonymes comme célèbres). Une mosaïque de fragments multicolores d’où émergent notamment les voix de Léon Zitrone, Michel Drucker, Pascal Légitimus ou Ramzy Bedia. D’intimes histoires familiales qui se mêlent à la plus grande Histoire, ses anecdotes (la publicité du «bébé Cadum» roumain, le bataillon espagnol qui libère Paris en août 1944…) et ses phrases-choc («le bruit et l’odeur» de Jacques Chirac en 1991, avant qu’il ne loue l’esprit «black-blanc-beur» de la victoire en Coupe du monde de football en 1998).
Avec ce sujet toujours sensible, qui ne semble jamais devoir quitter les devants de l’actualité, La Fabrique des Français arrive à mettre de la distance. Sébastien Vassant, dans un trait qui rappelle parfois Christophe Blain, dépeint (plus qu’il n’explique) une grande fresque sociale de la France, de manière à la fois ludique et objective. Sans prendre parti, il décrypte, informe, et passe en revue la problématique (les grands ensembles périphériques, l’assimilation, l’immigration choisie, la laïcité, le vivre-ensemble…). En fin d’ouvrage, le dernier mot est donné à Diana, descendante d’Algériens : «Le Français, il n’a plus qu’un seul profil. Aujourd’hui, le Français, il prend un « s ».» À l’heure où un quart de la population de l’Hexagone (soit à peu près 20 millions de personnes) trouve ses origines dans des pays étrangers, il serait temps de s’en rendre compte.
La Fabrique des Français, de Sébastien Vassant. D’après un récit de Françoise Davisse et Carl Aderhold. Futuropolis.
L’histoire
Aujourd’hui, un quart de la population française trouve ses racines à l’extérieur du territoire. De la IIIe République à nos jours, voici la construction d’une nation par le prisme de son immigration, de toutes les immigrations. Celle des Italiens, des Polonais, des Arméniens, des Russes, des Espagnols, des Portugais, des Algériens, des Maliens, des Cambodgiens… et de tous ceux venus y faire leur vie. La vision d’intérieur d’une France «au pluriel», et la manière dont elle s’est construite depuis plus de 150 ans.