L’an passé, il avait révélé aux yeux du grand public ses grandes qualités d’homme tout-terrain. Kevin Geniets revient à 26 ans pour vivre une Grande Boucle qu’il espère aussi trépidante.
On l’avait quitté dimanche dans la touffeur de Berbourg pour la course en ligne des championnats nationaux, où il avait abandonné à mi-course. «Je n’avais pas passé une super journée et je crois que j’ai mal réagi au retour d’altitude quatre jours avant. La course était pliée, j’ai préféré arrêter», explique-t-il simplement.
Depuis mercredi, Kevin Geniets est à Bilbao pour prendre le départ de son deuxième Tour de France.
Vous allez participer à partir de samedi à votre deuxième Tour de France. Qu’avez-vous retenu de votre première participation?
Kevin Geniets : Que c’était vraiment une course à part. L’organisation de la course en soi, l’organisation interne avec le staff : c’est vraiment une course à part par rapport aux autres épreuves de la saison.
C’est-à-dire?
Cela commence avec le public. Qui est énorme du départ à l’arrivée. La présentation au départ est assez dingue. Et en course, dans les étapes des Alpes et des Pyrénées, il y a tellement de monde… Toute la préparation qui se fait avant le Tour est une préparation qui ne se fait pour aucune autre course, avec beaucoup de stages en altitude. Cela fait trois mois qu’on n’a qu’une course en tête, c’est vraiment un gros projet.
Après votre première participation, vous aviez expliqué que vous n’aviez qu’une envie, celle d’y retourner…
C’est ça, oui. L’an passé, j’ai vraiment beaucoup aimé cette course. C’est toujours un rêve de la faire. J’ai profité de beaucoup de moments et pas toujours de moments faciles. J’ai connu aussi des journées compliquées. Le Tour, c’est toujours beaucoup d’émotions. Des émotions positives, des émotions plus compliquées à encaisser. Mais on se dit qu’il faut qu’on y retourne.
Parmi les moments plus compliqués, vous avez connu une étape difficile sur la route de Peyragudes (17e étape), avant de reprendre ensuite. Expliquez-nous…
J’ai vraiment passé une journée très compliquée. Quelques jours avant, pendant la deuxième journée de repos, j’étais tombé malade. Dès le départ, j’avais compris que cela serait très compliqué. Sur une autre course que le Tour, je me serais sans doute arrêté. Mais moi, je n’avais pas d’autre option que de continuer. Je voulais continuer cette aventure et aller jusqu’à Paris. Après, je me suis dépassé. J’ai tout fait pour récupérer le plus vite possible et je suis revenu pour faire une bonne fin de Tour.
Frôler l’abandon dans le Tour, ça laisse quelle impression?
Dans ma tête, jamais, je ne me suis dit que j’allais abandonner. Mais j’avais un énorme stress pour être dans les délais à l’arrivée (NDLR : il avait terminé à la 140e place, à 33 minutes du vainqueur, Tadej Pogacar). Je me souviens d’une journée horrible, j’avais tellement mal. Et la pression de savoir que le Tour pouvait s’arrêter là, rien que le fait de penser que j’allais peut-être devoir faire ma valise le soir, c’était une pression négative énorme.
Quand tu rentres sur les Champs, tu te dis que tu as réalisé un rêve de gosse
Et vos meilleurs moments?
Il y en a deux. L’étape de l’Alpe d’Huez (NDLR : la 11e étape, qu’il termina à la 31e place), où j’étais vraiment dans une très bonne journée. J’ai pu accompagner mon leader David Gaudu (4e à Paris) jusqu’au pied et même dans les premiers kilomètres de la montée finale. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de gens dont je suis proche, et puis, je n’avais encore jamais connu une telle sensation de foule avant. La sensation est forte, tu oublies la souffrance, la fatigue. Tu es dans ton monde, dans ta bulle, tu ne penses qu’à pédaler.
L’autre meilleur moment, c’est lorsque tu rentres sur les Champs–Élysées. Tu te dis : je réalise mon rêve d’enfant. J’y étais venu avec Romain Gastauer (NDLR : son ancien entraîneur) pour voir Ben (NDLR : 21e de cette édition 2014 remportée par Vincenzo Nibali alors que sa formation AG2R remportait le classement par équipes). J’étais en spectateur. Pour réaliser mon rêve, il restait un énorme chemin à accomplir et il aurait très bien pu ne jamais se réaliser. Quand tu rentres sur les Champs, tu te dis que tu as réalisé un rêve de gosse. Je sais que dans la vie, c’est compliqué de retrouver ce genre d’émotions. Il y a les sacrifices qu’il faut consentir pour y parvenir. L’an passé, il y avait aussi la satisfaction de voir David (Gaudu) qui terminait quatrième. L’avoir aidé m’avait comblé. J’ai parlé à d’anciens coureurs, qui m’ont dit qu’après leur carrière, c’est ce genre de sensations fortes qui peuvent manquer.
Vous êtes prêt à revivre ces sensations pour cette édition?
Oui, je l’espère. On sait que c’est le sport, alors on se prépare le mieux possible en réalisant plein de sacrifices. Mais ce que je raconte là, c’est si tout se passe bien, qu’on a de bonnes sensations, que l’on est performant. En cas contraire, on passe évidemment beaucoup de journées compliquées. Le Tour a alors une tout autre saveur. Pour moi, c’est une motivation de plus pour être performant.
Et au moment du départ, comment vous sentez-vous?
Très bien, les sensations sont là. Au Dauphiné, on a vu que j’étais sur de bons rails. Je me suis concentré là-dessus. Je suis resté tranquille, j’ai fait une préparation pour marcher sur le Tour. Je suis serein.
Si on résume bien pour votre équipe Groupama-FDJ, tout est pour David Gaudu avec un joker, nommé Thibaut Pinot…
C’est ça, oui. Je pense que David a bien récupéré après le Dauphiné. On a vu qu’au championnat de France, il était beaucoup mieux. Lui aussi a travaillé extrêmement dur et je pense que ça lui a fait du bien de voir qu’au championnat de France, il retrouvait de bonnes sensations. Pour nous, c’est clair que le classement général est très important. On repart sur les mêmes bases. Après, on a vu un Thibaut Pinot qui est extrêmement fort, il était bien sur le Giro, il repart sur de belles bases. Il aura de belles cartes à jouer également.
Comment votre équipe Groupama-FDJ se situe par rapport aux autres grandes équipes?
Je pense que l’an passé, on a pesé sur la course avec un effectif très fort. On a vu que nous étions toujours placés. L’an passé, on était vraiment là pour faire la course. C’est notre objectif de reproduire ça.
On verra vite qui peut jouer sur ce Tour et qui ne peut pas jouer
Que pouvez-vous dire du parcours?
C’est un parcours assez atypique. Cela sera directement très dur avec cette première étape qui peut faire une étape de spectacle. Ce sera une grosse étape. Et à la fin de la première semaine, on retrouvera les premières grosses montagnes. On verra vite qui peut jouer sur ce Tour et qui ne peut pas jouer.
Vous avez reconnu des étapes?
Oui, on en a reconnu plusieurs. Le puy de Dôme, par exemple. C’est un col très dur. Très régulier. C’est assez raide, pas très long. Cela peut faire des écarts. David a reconnu la première étape. Le chrono (16e étape), on l’a reconnu, comme plusieurs étapes clés.
Vous pensez que ce Tour de France va se jouer sur lequel des cinq massifs de montagne traversés?
Je pense que les Alpes seront décisives. Avec un col du Grand Colombier (13e étape) qui est extrêmement dur. Le col de la Loze (17e étape), que j’ai reconnu, est très dur aussi. Je pense que ça se jouera dans ces deux arrivées.
Tout sera joué avant l’avant-dernière étape, dans les Vosges?
Je sais que David a reconnu cette 20e étape. Toutes les étapes de montagne seront forcément importantes.
L’an passé, vous étiez souvent le dernier coureur à escorter David Gaudu jusque dans le dernier col en montagne. Ce sera encore le cas cette année?
Mon but est de refaire ça. De l’accompagner le plus longtemps possible. C’est un objectif de refaire la même chose. Après, il y aura du boulot sur les étapes vallonnées. Dès samedi, j’aimerais jouer un gros rôle pour David. À partir du moment où je suis sur le Tour, c’est clair que je sais que j’aurai beaucoup de boulot.
Avec cette mission de coéquipier, trouverez-vous un espace plus personnel sur l’une ou l’autre étape?
Non, on est dans une optique de classement général et je serai à 110 % dans mon rôle de protection. L’an passé, David a tenu son rang jusqu’à la fin, j’ai eu ce rôle à 110 %. Il n’y a aucun souci pour moi. Tant que l’on est placé au général, c’est mon job.
Croyez-vous que ce Tour de France se jouera entre les deux grands favoris, le Slovène Tadej Pogacar, déjà deux fois vainqueur, et le Danois Jonas Vingegaard, vainqueur sortant?
Je pense que oui. Mais cela reste le Tour. Il y a tellement d’étapes piégeuses, de chutes. On sait que cela peut basculer chaque jour. Avant le départ, Pogacar et Vingegaard sont les plus forts. Après, il y a beaucoup de kilomètres.
Un dernier mot sur l’atmosphère ressentie à Bilbao. Comment est l’ambiance?
Je suis arrivé mercredi soir et, ce jeudi matin, on est sortis faire un petit tour de vélo. C’est encore assez calme. C’est toujours spécial de commencer hors de France. L’ambiance Tour de France, pour moi, ça commencera vraiment en France.