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« Asteroid City » : Wes Anderson sur sa planète


Il y a très peu de réalisateurs dont la signature et la vision sont immédiatement familières à l’écran. On pourrait citer, certes, la petite musique anxiogène d’un Woody Allen ou les expériences lyriques d’un Terrence Malick. Wes Anderson complète sans problème le podium, lui qui, en dix films, a imposé sa patte, assurément l’une des plus singulières d’Hollywood, avec ses couleurs surannées, ses ralentis et vues plongeantes, la symétrie de ses images et l’aspect bricolage de ses productions contrebalancé par une famille d’acteurs stars, toujours plus nombreuse.

Le cinéaste dégingandé n’a en effet pas son pareil pour casser les codes filmiques et raconter les douleurs d’adultes dans des fables aux airs naïfs. On l’imagine bien comme un enfant enfermé dans sa chambre qui, pour ne plus entendre les bruits des grands dans la pièce voisine, organise ses jouets dans de fabuleuses constructions. Asteroid City ne déroge pas à la règle, et après l’hommage au bon goût «à la française» de The French Dispatch (2021), Wes Anderson célèbre l’histoire du cinéma américain, emblématique, avec ses déserts, son train et ses rocheuses (mais sans les chevaux).

 

On est en 1955 à Asteroid City, bout de terre microscopique et ensablé connu pour son gigantesque cratère de météorite et son observatoire astronomique (surveillés par l’armée). Dans cet endroit de carte postale, les champignons atomiques se mêlent aux cactus, et sur la seule route du coin, policiers et bandits jouent au chat et à la souris. L’espace d’un week-end, tout s’agite : cinq surdoués et leurs familles sont attendus à l’occasion d’un colloque scientifique pour «jeunes astronomes et cadets de l’espace», où ils comptent présenter leurs inventions révolutionnaires.

À cette affaire se mêlent des enfants et leur institutrice en voyage scolaire, un groupe de country, les locaux et surtout des soldats, qui investissent en nombre la place après qu’un ovni a débarqué avec son occupant chapardeur. Panique et mise en quarantaine pour tout le monde (toute ressemblance avec une récente pandémie n’est pas fortuite). De quoi observer ce petit monde vintage à la loupe, coincé derrière les imposantes Tomahawk Mountains : les amours naissantes, d’autres qui se reconstruisent, et la maturité des enfants face à la folie des adultes.

Une fois encore, Wes Anderson joue sur du velours : avec lui, la ruée vers l’Ouest prend des couleurs pastel et s’installe dans des décors en carton-pâte. Conteur, il montre une nouvelle fois son amour pour les vieilles techniques de cinéma. À Cannes, où son film était en compétition officielle, il a ainsi avoué réaliser comme on le faisait en 1930. Tous les autres artifices sont aussi de sortie, symétriques, esthétiques et fantaisistes. Seule innovation : le choix de parler parallèlement des affres de la création, avec des allers-retours vers le noir et blanc à travers la vision d’un dramaturge qui voit son œuvre en train de se créer.

Une mise en abyme qui donne à Asteroid City la forme d’une pièce de théâtre, articulée en actes et scènes. Durant l’une d’elles, il y a cette phrase, répétée comme un mantra, qui sert de clé aux histoires de Wes Anderson : «Vous ne pouvez pas vous réveiller si vous ne vous êtes pas endormis.» Comprendre qu’il faut savoir laisser les rêves nourrir l’imaginaire. Le sien est débordant, avec ces machines dingues inventées par des génies en herbe, cette enfilade de distributeurs automatiques (dont un qui permet de devenir propriétaire terrien) ou encore cette pièce mécanique qui semble prendre vie.

Beaucoup d’humour, de mélancolie, des inquiétudes, des références aux cartoons, des merveilles et des dialogues qui s’enchaînent sans respiration : Asteroid City montre tout l’art du cinéaste pour raconter de belles histoires. Pour ce faire, il sait bien s’accompagner, avec près d’une trentaine d’acteurs au casting ! Aux habitués (Adrien Brody, Tilda Swinton, Jason Schwartzman…) sont venus s’ajouter à la famille de nouveaux membres : Tom Hanks, Steve Carell, Margot Robbie ou Scarlett Johansson. Seul Bill Murray, de tous ses films depuis 1998, n’est pas du rendez-vous (en raison du covid, encore).

Si The Grand Budapest Hotel (2013) reste son œuvre phare, ou la plus aboutie en termes de narration, et que ce onzième film en est loin, Wes Anderson continue malgré tout de séduire, tel un marionnettiste ou un magicien dont les fils se voient ou les tours sont archiconnus. Qu’importe ! Le public et la culture graphique en ligne continuent de s’y référer. Wes Anderson n’en demande sûrement pas tant, mais apprécie les égards. D’ailleurs, il sera de retour dès le mois de septembre, avec une première collaboration Netflix (The Wonderful Story of Henry Sugar).