Un homme suicidaire reçoit la visite d’un autre… venu pour le tuer! Un duo insolite et cocasse né de l’imagination de Matthieu Delaporte, auteur de comédies fines. À découvrir au TOL.
Pas facile de mettre fin à ses jours quand on cherche à vous tuer… Voilà, en une phrase, tout le sel et tout l’attrait de 1 h 22 avant la fin, comédie si bien ficelée qu’elle contamine jusqu’à l’équipe du TOL, alors en pleine répétition. L’ambiance est en effet décontractée et les blagues fusent à tout-va, notamment entre les deux figures principales de cette drôle d’histoire.
«On prend un vrai plaisir à jouer cette pièce», soutient ainsi Hervé Sogne, qui ne cache pas sa joie de retrouver «son» Raoul Schlechter. «Il y a quelque chose de très communicatif dans ce travail», confirme dans un rire ce dernier. Pour preuve, même durant le filage, les techniciens se marrent…
Il faut dire que derrière cette création, on trouve un maître en la matière pour décoincer les zygomatiques. Certes sûrement moins dingue que Sébastien Thiéry (Qui est Monsieur Schmitt?, L’Origine du monde), mais tout aussi porté sur l’absurde et l’extravagant : soit Matthieu Delaporte, qui s’est fait un nom au théâtre… avec Le Prénom, pièce ayant connu ensuite un beau succès au cinéma, au même titre que le farceur Papa ou maman dont il a écrit le scénario.
Pauline Collet, qui signe ici sa seconde mise en scène pour le TOL (après Le Retour de Lucienne Jourdain l’année dernière), a vu les deux films, mais elle reste bloquée sur le texte, (dé)tonnant, car à la fois «populaire et fin», selon elle.
Les duos humoristiques de Francis Veber
Elle développe : «On reconnaît bien sa patte dans l’écriture, très précise. Et c’est un texte qui se lit aussi bien qu’il se monte! Il y a en effet quelque chose de simple, de spontané, comme une nouvelle que l’on lirait le soir au lit.».
Les deux acteurs, toujours aussi dissipés, prolongent : «J’adore!, lâche Raoul Schlechter. Ça va à mille à l’heure, c’est un ping-pong. Mieux, des montages russes!». «C’est de la dentelle, enchaine dans la foulée Hervé Sogne. Et ça ne s’arrête jamais!» Au fil des discussions, les références pleuvent, mais reviennent souvent à la même source : le cinéma de Francis Veber, et notamment les cultes La Chèvre (1981) et Le Dîner de cons (1998).
Toute la force et l’efficacité des duos humoristiques (Depardieu-Richard pour l’un, Lhermitte-Villeret pour l’autre), reprises ici dans cette pièce qui met en scène un certain Bertrand, un trentenaire qui ne respire franchement pas la joie de vivre. Las d’une vie sans saveur, sans amour et sans réussite professionnelle, il décide d’en finir pour de bon et de se jeter par la fenêtre de son appartement.
Mais au moment de passer à l’acte, on frappe à la porte. Fait alors irruption un homme armé qui paraît aussi paumé que lui, avec la ferme intention de le tuer… La rencontre d’un grand timide suicidaire et d’un assassin perplexe, voilà qui en jette!
Le décor «le plus moche du monde»
Pauline Collet détaille : «Ce sont deux losers à leur manière. Bertrand a quand même des boules de pétanque molles chez lui. Je me suis renseignée, ça existe! Il est dans le même immeuble depuis vingt ans, on lui dit bonjour, mais on ne lui parle pas vraiment.» Quant à l’autre, coincé dans son costume de banquier, et dont on n’apprendra la véritable identité que plus tard, «c’est quelqu’un qui s’ennuie à mourir. Un hamster dans sa roue.»
Reste un troisième personnage, une jeune femme habitant l’étage au-dessus (incarnée par Aude-Laurence Biver), un brin dépressive, elle aussi, et qui pourrait bien changer le funeste destin du tandem.
Dans un décor voulu comme le «plus moche du monde», open space «austère» à voir comme une sorte de vestibule de la mort, la metteuse en scène dirige avec énergie son groupe pour 1 h 25 («on a un peu triché sur la durée!») de joutes verbales qui évoquent, «dans un mélange de légèreté et de profondeur» la mort, donc, mais également les doutes existentiels, les impasses personnelles, la solitude.
Une «joyeuse dépression», résume Pauline Collet, qui parle en creux de thèmes plus positifs, comme l’importance d’aller vers l’autre, de prendre sa vie en main ou encore de créer des amitiés, aussi improbables soient-elles. «Le suicide, c’est un prétexte, la recherche d’une main tendue.»
Yin et Yang, covid et Juliette Armanet
Au milieu de cette valse des sentiments, toujours le même duo à fleur de peau, qui se renifle, s’attire ou se repousse. La metteuse en scène en transpire encore… «C’était un pari de les réunir tous les deux, car tout les sépare! Ils ont un moteur de travail et une énergie différents. Mais ça donne un côté Yin et Yang qui fonctionne plutôt bien sur scène.»
Et à ce petit jeu de «qui est le con de qui», Raoul Schlechter l’avoue : il est une victime consentante. «Plus on avance, plus il me pousse à faire des choses folles. Il veut que je me découvre moi-même», avoue-t-il. Et derrière lui, Hervé Sogne ne lâche pas son sourire féroce.
Entre les deux, comme l’affirme Pauline Collet et contrairement au titre de la pièce, c’est une «histoire sans fin». «Ils n’arrivent pas à aller au bout d’un raisonnement, ne se comprennent pas.» Une «suite de malentendus, de faux départs» aux échos résolument contemporains. «On y parle du covid, on y écoute L’Amour en solitaire de Juliette Armanet… On a l’impression que ça a été écrit hier!»
De quoi, au final, la convaincre que 1 h 22 avant la fin peut avoir une vaste portée publique. «Les gens qui, par exemple, n’auront vu que Le Prénom, chez eux ou au cinéma, reconnaîtront un style, un type d’humour. Oui, ce genre de pièce, c’est une porte d’accès pour le théâtre!» Hervé Sogne, lui, se tient prêt et s’exerce car «faire rire, c’est plus dur que de faire pleurer!».
La pièce
Quatrième étage d’un immeuble parisien. Bertrand, la trentaine maniaque et dépressive, a tout organisé pour que son suicide réussisse (enfin). Mais voilà que quelqu’un vient frapper à sa porte. Pistolet à la main, moustache au visage, cet homme mystère lui annonce qu’il est venu pour le tuer. Drôle de coïncidence…
TOL – Luxembourg.
Première ce soir à 20 h.
Jusqu’au 30 juin.