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[Théâtre] Milo Rau transpose Antigone en Amazonie


Pour les besoins de sa pièce, Milo Rau a recréé le massacre d'Eldorado do Carajás, survenu en 1996, avec des survivants, des militants du MST et des acteurs du théâtre NTGent. (Photo : afp)

Après Oreste à Mossoul, le metteur en scène suisse Milo Rau se livre à une nouvelle transposition audacieuse de la tragédie grecque, pour dénoncer la destruction de la plus grande forêt tropicale de la planète.

La première représentation de la nouvelle pièce de Milo Rau, Antigone en Amazonie, aura lieu le 13 mai au théâtre NTGent de Gand, en Belgique, une des grandes scènes européennes d’art dramatique qu’il dirige depuis 2018. Cette relecture contemporaine de la tragédie de Sophocle sera également programmée au festival d’Avignon, en France, en juillet. Mais la dernière étape de la création de la pièce s’est déroulée au Brésil, où a été filmée la semaine dernière la reconstitution du massacre, en 1996, de militants du Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre (MST) dans l’État amazonien du Pará, au nord du pays.

La séquence, tournée avec des centaines de figurants, sera projetée durant les représentations de la pièce, dont le premier rôle, celui d’Antigone, a été confié à une activiste autochtone brésilienne, Kay Sara. Milo Rau, 46 ans, a passé près d’un mois au Brésil pour préparer cette reconstitution, à l’endroit précis où 19 militants du MST ont été tués par la police alors qu’ils bloquaient une route près de la petite ville d’Eldorado do Carajás.

Le dramaturge suisse explique avoir choisi parmi les acteurs et figurants des survivants de ce massacre, qui ont dû «revivre le traumatisme» en entendant les détonations des tirs à blanc sur les lieux du drame. Mais c’est aussi «un moyen d’aller de l’avant».

«Le peuplecontre la dictature»

Milo Rau a déjà subi à plusieurs reprises des menaces en raison de son fort engagement politique et de son style transgressif. À Moscou, il a été déclaré persona non grata après sa mise en scène d’une version fictive du procès du groupe contestataire et féministe russe Pussy Riot. En 2019, Oreste à Mossoul était une transposition de la tragédie d’Eschyle dans le Nord irakien dévasté par la guerre et les exactions du groupe État islamique.

Avec Antigone en Amazonie, Milo Rau s’attaque à une autre destruction, celle de la forêt jugée cruciale pour la survie de la planète face au changement climatique. Une jungle mise à mal sous le mandat de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui a vu la déforestation moyenne annuelle en Amazonie augmenter de 75 % par rapport à la décennie précédente. «Antigone, c’est le combat du peuple contre la dictature. Des paysans sans terre, des indigènes… Le MST lutte contre l’État et les grands propriétaires terriens, que l’on peut identifier dans le personnage de Créon», le tyran de la tragédie de Sophocle, explique Milo Rau. «Antigone dit : « Non, nous ne voulons pas de compromis, nous voulons la réforme agraire »», poursuit-il.

Pour la reconstitution, des centaines de figurants, dont de nombreux militants du MST, ont bloqué la route empruntée encore aujourd’hui par des camions transportant du bétail ou des minéraux. Le tournage de cette séquence est «un acte politique» en soi, pour dénoncer ce «va-et-vient incessant qui symbolise l’exploitation de l’Amazonie».

«Fenêtre d’opportunité»

Durant la reconstitution, Milo Rau arbore lui-même un t-shirt noir et une casquette rouge affichant le logo du MST. «C’est plus qu’un mouvement social, c’est un exemple de société postcapitaliste pour une nouvelle agriculture. On a beaucoup à apprendre du MST», insiste-t-il.

Depuis sa fondation, au début des années 1980, le MST lutte pour une distribution plus équitable des terres agricoles. Leurs méthodes sont parfois controversées, avec notamment des occupations de terres appartenant à l’État ou à des fermiers. Les militants mènent par ailleurs des campagnes contre les monocultures ou pour la préservation des forêts.

En 2018, Milo Rau avait pris ouvertement position dans la campagne électorale brésilienne, signant un manifeste évoquant une «catastrophe» pour l’Amazonie en cas de victoire de Jair Bolsonaro à la présidentielle. Aujourd’hui, il entrevoit une lueur d’espoir avec le retour au pouvoir, en janvier, du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva. «Après ces années difficiles, les choses commencent à changer. Le Brésil a pour la première fois un ministère des Peuples indigènes. La situation demeure compliquée, mais une fenêtre d’opportunité s’est ouverte», conclut-il.