Le village des potiers se prépare à accueillir le traditionnel marché de Pâques, ce week-end.
Cela fait bien longtemps que l’hirondelle ne fait plus le printemps à Nospelt. Depuis 1957 précisément. À la sortie de l’hiver, les rues de la localité résonnent des chants de petits oiseaux colorés. Ces volatiles qui ne pépient que le lundi de Pâques, aux corps de terre cuite, sont l’un des symboles du Grand-Duché. Enfin, du Grand-Duché… «Ce type de poterie était déjà fabriqué dans l’Égypte antique», sourit Alain Lehnert, qui en sculpte depuis trois décennies et les vend à l’Emaischen, ce grand marché traditionnel qui leur est consacré.
Loin des pyramides, les quelque 80 membres de l’ASBL Nouspelter Émaischen ont commencé à s’affairer dès samedi dernier dans le village. Pendant que des bénévoles installent tentes et stands, d’autres nettoient les 3 000 verres prévus pour désaltérer les visiteurs.
Tout doit être prêt samedi, jour du début des festivités de l’Emaischen, ce marché réservé à la poterie et aux artisans d’art, sur lequel seront vendus, le lundi de Pâques, les fameux sifflets en forme d’oiseaux, les Péckvillercher. Grands-parents à la recherche d’un cadeau pour leurs petits-enfants, Luxembourgeois se rendant à l’étranger et voulant faire un cadeau emblématique à leur hôte, collectionneurs de Péckvillercher… les clients ne manquent pas. Surtout si le soleil est de la partie.
«C’est la première fête folklorique de l’année, les gens sont contents de sortir, c’est l’occasion aussi de se retrouver entre amis», relève le secrétaire de l’association, Nicolas Berton, pour expliquer un succès qui ne se dément pas. L’événement attire chaque année plus de 8 000 personnes, selon les conditions météorologiques.
Et si la capitale organise sa propre Emaischen le lundi de Pâques, à Nospelt, les festivités dureront trois jours avec en point d’orgue le marché. Samedi et dimanche seront programmés sous le grand chapiteau des concerts et un bal, mais aussi de nombreuses animations folkloriques et des activités pour les enfants. Les deux musées du village, de l’Archéologie et de la Poterie, seront ouverts pour l’occasion, une exposition en l’honneur du 120e anniversaire de la naissance du céramiste Jean Peters vient d’ailleurs d’être installée.
D’autres héros après Superjhemp
L’Emaischen à proprement parler commencera le lundi à 10 h. Pour qui n’y est encore jamais allé, il faut se représenter un peu moins d’une quinzaine de stands de poteries et céramique, aux étals recouverts de diverses décorations, de vaisselle en terre cuite… mais surtout de petits sifflets en argile sous forme d’oiseaux traditionnels aux couleurs pastel ou bariolés que les enfants, et les plus grands, s’empressent de porter à leur bouche afin de souffler dedans pour que l’oiseau percé de trois trous émette un sifflement…
Et si d’aventure, il vous prend l’envie d’en savoir plus sur leur fabrication, comme chaque année, les visiteurs pourront assister à la fabrication d’un Péckvillchen par le plus emblématique des potiers de Nospelt, Eugène Biver. À 82 ans, «Usch» est le seul à encore utiliser un tour de potier qu’il a reçu d’un menuisier du village en 1960 et de l’argile brune, typique de Nospelt.
Habitués, eux aussi, de l’Emaischen, la Ligue HMC de Capellen, l’Op der Schock de Redange-sur-Attert et la Fondation Kräizbierg de Dudelange, des ateliers protégés qui proposeront à la vente leurs Péckvillercher et autres objets en terre cuite. Un autre stand méritera le détour, celui de l’ASBL Emaischen, où cinq potiers du cru vendront leur production. Tout au long de l’année, ils ont accès au four du musée pour cuire leurs petits oiseaux siffleurs, et bénéficient des conseils avisés d’Usch. Certains sont débutants – une bonne façon de s’occuper à peine arrivé à la retraite – et d’autres plus aguerris.
Parmi ces derniers, le plus jeune, Marc Einsweiler, 34 ans, est présent à l’Emaischen depuis 2014. Il avait connu un vif succès en créant un Péckvillchen nommé «De Vullejhemp» à l’effigie de l’antihéros Superjhemp. «Ils avaient été vendus en 53 minutes», se remémore le fan du héros de la bande dessinée luxembourgeoise et qui, depuis ce coup d’éclat en 2019, crée chaque année un nouveau modèle. Désormais, il puise son inspiration dans la vie de tous les jours.
Après Sam le pompier, équipé d’une petite lance à incendie et d’un casque, place à «De Bauer», l’agriculteur, vendu au prix de 50 euros. Ce Péckvillchen a la tête recouverte d’un petit chapeau gris et porte une salopette bleue. Un épi de blé ou une minifourche en bois lui sont ajoutés, sur le côté. «Avec ce Péckvillchen, je veux rendre hommage aux héros du quotidien», explique Marc Einsweiler, pour qui façonner ces oiseaux siffleurs est devenu non seulement une passion, mais aussi un moyen de tisser un lien entre lui et les potiers qui l’ont précédé.
Programme complet sur emaischen.lu
Depuis 37 ans, Alain Lehnert fabrique des Péckvillercher. Cet homme de 51 ans qui vit à Nospelt et travaille pour la Ville de Luxembourg, a découvert cette tradition enfant. Il a suffi qu’il façonne un premier Péckvillchen pour qu’il soit mordu. Chaque année, il crée un nouveau modèle. Il le dessine d’abord sur le papier, puis il en fait un moule en plâtre qu’il va ensuite emplir d’argile. S’ensuivent trois à quatre semaines de séchage, un premier passage au four à 900 °C, une couche de peinture puis rebelote une cuisson à 1 050 °C pendant 8 heures dans le four – un appareil qui lui a coûté 7 000 euros, mais comme dit le proverbe quand on aime, on ne compte pas. Et c’est assurément un passe-temps qu’il aime, qui non seulement «l’occupe quand il fait trop froid pour sortir», mais c’est surtout un véritable «plaisir de le faire et de respecter la tradition», reconnaît celui qui, dès novembre, commence la fabrication de 250 oiseaux dans la solitude de son atelier. Ses parents l’aident habituellement le jour de l’Emaischen en les vendant devant sa maison à Nospelt, tandis que lui se rend à Luxembourg. Y a-t-il un style Alain Lenert ? Le potier réfléchit : «Oui. Mes Péckvillercher sont d’un style simple, traditionnel, c’est-à-dire de couleur pastel et d’aspect plus brut.» Une façon de faire qu’il aimerait un jour pouvoir transmettre pour que la tradition se perpétue. Alain Lehnert, le respect de la tradition