Avec Cinéma spéculations, Quentin Tarantino troque la caméra pour la plume pour revenir sur sa passion sur le cinéma et égratigner au passage quelques grands noms.
Au début du commencement, il y avait le Tiffany Theater. Une salle de cinéma de Los Angeles, certes, mais pas située sur le Hollywood Boulevard, comme toutes les autres salles. Le Tiffany Theater était sur Sunset Boulevard. «Qu’est-ce que ça change ? Ça change pas mal de choses.» Cette salle de cinéma, c’est là que «Little Q» regardait de grands films, apprend-on dans Cinéma spéculations, le deuxième et nouveau livre de Quentin Tarantino. Oui, Quentin Tarantino, 59 ans, réalisateur, scénariste, producteur, acteur et – depuis peu – écrivain américain, a fait son éducation ciné dans cette salle de la cité des anges… Le New York Times affirme : «Tarantino était cinéphile avant d’être cinéaste, et ce n’est pas près de changer…»
À 9 ans, assis dans la salle du Sunset Strip, il a vu Black Gunn (Robert Hartford-Davis, 1972), un film alors interdit au moins de 17 ans; cinquante ans plus tard, avoue-t-il, il ne s’est toujours pas remis de cette séance avec «un public surexcité de 850 Noirs, dont environ 800 étaient des hommes… À compter de ce jour, j’ai passé plus ou moins toute ma vie à aller voir des films et à en faire en essayant de recréer l’expérience du visionnage du tout nouveau film avec Jim Brown, un samedi soir, dans un cinéma de 1972.» En couverture, le réalisateur de Reservoir Dogs (1992) et Pulp Fiction (1994) annonce : «Je voulais écrire sur le cinéma et j’ai fini par vous raconter un peu l’histoire de ma vie.» Donc, en près de 450 pages, nous voilà embarqués dans un travelling arrière follement enthousiasmant.
Tarantino ne mâche jamais ses mots : quand il aime, il aime follement, mais quand il déteste, là, il cogne
Enthousiasmant, parce que Quentin Tarantino n’est pas seulement l’un des plus brillants réalisateurs de l’époque, il sait aussi dire et écrire sur le cinéma comme peu de ses consœurs et confrères. Ainsi, après un long prologue où il se raconte (son enfance, sa vie, son œuvre), il développe nombre de critiques sur des films qu’il a aimés ou détestés. Ça défile. On commence par Bullitt (Peter Yates, 1968), on enchaîne avec Dirty Harry (Don Siegel, 1971) et Deliverance (John Boorman, 1972), puis The Getaway (Sam Peckinpah, 1972) ou encore Caged Heat (Jonathan Demme, 1974). Tarantino ne mâche jamais ses mots : quand il aime, il aime follement, mais quand il déteste, là, il cogne…
Ainsi, au hasard des pages, il peut égratigner sauvagement la Nouvelle Vague française, celle qui a bousculé le cinéma dans les premières années 1960. Et cibler François Truffaut au sujet de la réalisation et la mise en scène de La Mariée était en noir (1968) pour son «côté amateur empoté à la Ed Wood». Il allume aussi Martin Scorsese – oui, c’est un génie du cinéma, mais également un hypocrite capable de «fourberie» – et son fidèle comparse Paul Schrader, réputé théoricien du 7e art, scénariste et réalisateur : «Un scénariste magnifique avec une faiblesse criante : il ne sait pas écrire un film de genre.»
Lui, le chantre de la transgression qui avoue avoir été, enfant, traumatisé par Bambi (David D. Hand, 1942), dresse une liste de sept films qu’il considère parfaits et pour lesquels il éprouve une admiration immense : The Wild Bunch (Sam Peckinpah, 1969), The Exorcist (William Friedkin, 1973), Young Frankenstein (Mel Brooks, 1974), The Texas Chainsaw Massacre (Tobe Hooper, 1974), Jaws (Steven Spielberg, 1975), Annie Hall (Woody Allen, 1977) et Back to the Future (Robert Zemeckis, 1985).
Alors, il ne manque pas de préciser : «Quand vous parlez de films parfaits, il s’agit d’essayer de rendre compte de toutes les esthétiques et de toutes les sensibilités… Mais les films parfaits dépassent plus ou moins toutes les esthétiques à un degré ou un autre.» Dans l’immédiat, Tarantino a annoncé sa retraite (provisoire?) cinématographique, mais il se dit à Hollywood qu’il aurait bouclé le scénario d’un film titré The Movie Critic, dont il entamerait le tournage à l’automne. En attendant, il faut lire Cinéma spéculations. Il était une fois Quentin Tarantino…
Quentin Tarantino, Cinéma spéculations. Flammarion