Malgré de réels efforts d’investissement et la gratuité instaurée il y a trois ans, les transports publics peinent à concurrencer la voiture individuelle au Luxembourg.
« La culture de la voiture est vraiment dominante et cela reste assez compliqué d’attirer les automobilistes vers les transports en commun », explique Merlin Gillard, spécialiste de la mobilité au centre de recherche Liser. Fin 2021, le pays affichait le deuxième taux de motorisation dans l’UE, avec 681 voitures particulières pour 1 000 habitants, d’après l’institut Eurostat. Parmi les Vingt-Sept, seule la Pologne dépasse ce chiffre (687).
« Je dis souvent, les Allemands construisent les voitures et les Luxembourgeois les achètent », plaisante le ministre de la Mobilité au Grand-Duché, François Bausch, qui constate toutefois que le trafic se fluidifie dans la capitale depuis la mise en circulation du tramway en 2017. À l’heure de la transition vers la neutralité carbone, la coalition au pouvoir met en avant ses lourds investissements pour attirer la population vers des transports plus propres.
Le gouvernement vante un investissement annuel de 800 millions d’euros dans ses transports publics. Le pays détient le record européen de la dépense pour le tramway, avec 500 euros par personne et par an investis « dans l’extension et la qualité du réseau », relève François Bausch, ministre écologiste.
« C’est le pays qui investit le plus en Europe » en la matière, acquiesce Merlin Gillard. « Mais le Luxembourg vient de très loin », « on rattrape des investissements qui ont été très faibles pendant des années », assure l’expert.
Gare centrale rénovée de fond en comble, funiculaire ultra-moderne, voies dédiées pour bus et tramways : dans la capitale, les progrès sont salués par les usagers rencontrés, qui soulignent aussi les bénéfices de la gratuité. Une mesure inédite en Europe, où aucun État ne l’avait jamais instaurée sur l’ensemble de son territoire.
Cette gratuité « facilite la décision au moment de choisir entre transports en commun et voiture », et « c’est très positif pour l’environnement », fait valoir Edgar Bisenius, gérant d’une PME de services financiers.
« Un droit fondamental »
« Le transport, c’est un droit fondamental pour les habitants. Si on a le droit de travailler, on a bien aussi le droit qu’on nous amène au travail, sans trop de coûts », dit de son côté Ben Dratwicki.
Ce professeur de français, qui réside dans la capitale et y circule à vélo, explique prendre le funiculaire puis le train pour se rendre au lycée où il enseigne, à 20 kilomètres au nord.
Un tel comportement semble encore minoritaire, à en croire les embouteillages qui persistent aux heures de pointe sur les grands axes. Car la particularité du pays est qu’il attire chaque jour sur son sol 220 000 travailleurs frontaliers, ce qui représente près de la moitié du nombre total d’employés.
Ces frontaliers, venus principalement de France et de Belgique, sont exclus du bénéfice de la gratuité des transports pour la partie du trajet effectuée dans leur pays de résidence. Un frein pour délaisser la voiture. Pour les 120 000 « navetteurs » français, qui travaillent et paient des impôts au Grand-Duché, le gouvernement luxembourgeois a consenti à redistribuer en partie l’argent en finançant des infrastructures comme des parkings du côté français de la frontière.
François Bausch a aussi promis un train Thionville-Luxembourg toutes les sept minutes à l’horizon 2027/2028. Une fréquence « presque comparable au métro », a argué le ministre.
Merlin Gillard pointe, lui, une autre limite du « modèle » luxembourgeois, à savoir un marché immobilier saturé et des loyers de plus en plus chers, empêchant selon lui l’installation de frontaliers qui le souhaiteraient. Ceux-ci sont en quelque sorte doublement sanctionnés, d’après l’expert : « Ils ne peuvent pas se payer un logement, et en plus doivent payer les transports quand même ».