L’argumentaire choisi pour défendre la réforme des retraites en France dit beaucoup de la considération généralement portée à ceux qui produisent. Les valeurs cardinales ne reposent que sur des chiffres et les «critères» à remplir pour presser le fruit peu juteux de toute une vie de labeur. Au prix de sacrifices entièrement humains, sur l’autel du productivisme.
Dans les ministères – comme dans les entreprises par ailleurs –, jamais les très hauts n’intègrent la question cruciale des conditions de travail pour faire leurs calculs. Ni, de fait, les souffrances qu’elles génèrent. C’est pourtant une réalité de plus en plus évidente. Qu’ils ne veulent ni voir ni entendre. Quand bien même la détresse, plus encore que la colère, s’exprime haut et fort dans la clameur des rues, en toutes lettres sur les banderoles. Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour constater combien traînent leur patte abîmée au boulot. Le mal dans la peau, la douleur dans les chairs. Sans rien dire, pour ne surtout pas troubler l’illusion de la cohésion d’équipe. Chacun pour soi et dans son coin, c’est préférable. Cache donc ta peine, malheureux, cela leur fait offense.
Bosser dur et longtemps, non seulement ne paye plus les factures, mais coûte davantage à tous les niveaux. Au bout du compte, le cœur n’est plus à l’ouvrage, la démission se fait silencieuse depuis déjà un moment. Jusque dans des métiers auxquels on avait pourtant juré de se dévouer corps et âme. Dans une société juste, il suffirait d’empoigner son destin et de claquer la porte. Dans notre société brutale, les portes restent souvent closes et tout le monde ne peut pas se permettre d’aller tenter sa chance ailleurs – ou le diable, c’est selon. Car les lendemains peuvent s’ouvrir sur un enfer plus grand. Pour nombre d’employés, la retraite est encore très loin. Et la perspective même d’y parvenir s’éloigne aussi. L’espoir meurt à petit feu, les (con)damnés se tueront à la tâche. Il n’existe plus vraiment de profession de foi, essentiellement des chemins de croix. Le salut ne peut pas venir de l’esprit de quelques élus touchés par la grâce de ne jamais avoir à connaître de pénitence. Il viendra uniquement d’une prise de conscience collective.
Alexandra Parachini
Scotché. J’ai été scotché par cet éditorial. Pas un mot en trop. Pas une virgule ne manque. Merci.