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Jacques Molitor libère la bête


Avec Kommunioun, le réalisateur propose une relecture du mythe du loup-garou qui, derrière l’horreur et le fantastique, parle du Luxembourg dans ce qu’il a de plus réactionnaire.

On connaissait jusqu’alors le loup-garou de Londres (John Landis, 1981) ou celui, moins terrifiant et moins réussi, de Paris (Anthony Waller, 1998). Imaginé par Jacques Molitor, voilà que le Luxembourg a désormais le sien. Mieux, toute une famille cachant sa bestialité et son goût pour la chair fraîche au cœur des vignes mosellanes. Un retour aux sources pour le réalisateur qui, après un premier film (Mammejong, 2015), délaisse le drame pour l’horreur, genre dont il s’est fait une spécialité à l’école. «Il permet d’exprimer des idées personnelles ou politiques» plus facilement, dit-il.

Avec une enveloppe de 4 millions d’euros, soutenu par le FilmFund et les bien nommés Films Fauve, Kommunioun appuie les envies actuelles de changement du cinéma national, qui ose dans le ton et la forme, que l’on évoque le thriller policier (la série Capitani) ou les aventures de héros en cape (Superjhemp Retörns), sans oublier le western promis par Loïc Tanson en fin d’année (Läif a Séil). Une diversité que Jaques Molitor soutient : «Ce décloisonnement est appréciable car oui, on peut raconter des choses autrement qu’à travers un drame», trop «premier degré» selon lui.

Bien qu’ayant travaillé sur son long métrage durant cinq ans, et avouant avoir procédé à nombreux remaniements, le cinéaste se fait en effet plaisir et revient à ses modèles, qu’il cite : Cronenberg, Guillermo Del Toro ou encore Clive Barker. Tous, dans leurs films fantastiques, ont parlé d’un même sujet : l’intrusion de «l’autre». Chez Jaques Molitor, ce sera Martin, dix ans, au comportement parfois étrange. Le père est parti, et la mère, Elaine, donne tout ce qu’elle peut à son garçon. Mais quand il mord jusqu’au sang un de ses camarades, elle décide de partir dans la famille de son ancien compagnon aux confins du Luxembourg. Pour y trouver de l’aide, et peut-être des explications.

Les grands-parents, les Urwald (joués par Marja-Leena Junker et Marco Lorenzini), viticulteurs importants de la région de la Moselle, reconnaissent immédiatement leur petit-fils, qui lui semble se faire au confort bourgeois du lieu, loin de ce qu’il connaît à Bruxelles. Malgré tout, l’ambiance est quand même pesante, entre les méthodes d’éducation sévères, les prières à table, les piqûres que les hommes s’injectent et les «spécificités» familiales, plutôt bestiales : renifler, chasser et aimer (voracement) les chaussons à la viande! Elaine, désespérée, comprend que son fils est destiné à suivre la trace de son clan. Mais jusqu’où est-elle prête à aller pour le sauver, tout en acceptant sa véritable nature?

Jaques Molitor qui, dans le dossier de presse, dit lui aussi avoir appris, il y a quelques années, qu’une partie de son histoire familiale «avait été cachée», met au premier plan de son histoire un amour inconditionnel entre une mère (l’excellente Louise Manteau) et son enfant (Victor Dieu). Autour du tandem lié à la vie, à la mort, deux autres thématiques fortes : la transformation corporelle et la nature contre la culture. Mais le film, jamais rassasié, «effleure» également d’autres sujets qui se croisent et se répondent : le patriarcat, la religion, la différence, la place des femmes dans la société, les rites toxiques, les faux-semblants… Et puisqu’en on en revient toujours à l’«autre», les difficultés d’intégration.

Ainsi, la famille Urwald, pour le réalisateur, «est l’incarnation de la paranoïa de certains réactionnaires luxembourgeois», avec cette «peur viscérale de perdre sa culture et sa langue». Des gens qui «s’accrochent aux traditions dans un monde qui change, auquel ils aspirent tout de même à appartenir». D’où aussi l’envie de placer son film en Moselle, région à la fois «touristique et cloisonnée» – surtout que le Nord avait été déjà sondé dans Gutland. Dans une approche moins trash qu’il n’y paraît et plus profonde (bien qu’«exagérée» pour certaines scènes), Kommunioun détourne même l’hymne national pour en faire une supplication cannibale : «Cachons qui nous sommes et mangeons ce que nous voulons être».

Après Calvaire (2003) et Shadow of the Vampire (2000), deux films coproduits et tournés sur les terres grand-ducales, sans omettre Skin Walker de Christian Neuman (2019), Jaques Molitor rajoute sa pierre au tout petit édifice horrifique «made in Luxembourg», avec l’idée, qui sait, que d’autres suivent derrière lui. Difficile, selon lui, car la nouvelle génération préfère «le drame ou la comédie». Sans oublier qu’il faut souvent «batailler» pour défendre un tel projet. «C’est difficile d’intéresser les producteurs», surtout qu’un tel film est «moins présent dans les festivals». Mais cela ne l’effraye pas, et il promet même d’y revenir au plus vite. En allant «plus loin» dans le suspense et le gore.

Kommunioun, de Jacques Molitor.