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Toulouse, laboratoire français du manga


«Les éditeurs viennent piocher parmi nos étudiants qui ne sont même pas encore sortis.» (photo AFP)

Fondée en 2016, l’École internationale du manga et de l’animation, basée à Toulouse, se vit en laboratoire des futurs mangakas français, alors que le pays est le deuxième marché du manga après le Japon. Et le succès est déjà au rendez-vous.

Deux étudiantes vont bientôt publier leur premier manga, Réseau Alexis, saga historique consacrée à un groupe de résistants à Toulouse mettant en lumière leur école, fondée dans la ville rose et qui se vit en laboratoire des futurs mangakas français. Âgées de 22 ans, Séléna Mercier et Marie Desnoyer sont tout sourire pour évoquer le tournant que vient de prendre leur vie de jeunes dessinatrices : la perspective d’être publiées chez Vega-Dupuis, l’un des grands éditeurs de manga français.

Cette récompense obtenue à l’issue d’un concours, les deux étudiantes de cinquième année de l’École internationale du manga et de l’animation (EIMA) basée à Toulouse l’ont gagnée à la force de leur crayon, avec un projet d’une cinquantaine de pages mêlant fiction et grande histoire. «On devait faire des recherches sur le Toulouse des années 1900», se souvient Marie. «Et on est tombées, dans la Bibliothèque du patrimoine de Toulouse, sur des étagères remplies de bouquins sur la Résistance toulousaine, des témoignages, etc. On s’est perdues dedans et on s’est dit : « Mais c’est trop bien ! » Et c’est ainsi que Réseau Alexis est né.»

Ensemble, elles ont développé le scénario, mêlant amour et aventure, Marie se consacrant aux décors, Séléna aux costumes, toutes deux cherchant à être les plus proches possibles de la réalité historique, en restant dans les codes de la bande dessinée japonaise. Désormais, il reste à étoffer, enrichir et complexifier ce manga originel afin qu’il soit définitivement prêt pour publication, d’ici quelques mois.

Aujourd’hui au collège, ça parle Naruto, One Piece, Demon Slayer (…) Nous, quand on sortait un manga, on faisait partie des marginaux

Depuis l’enfance, Séléna et Marie ont grandi avec le manga jusqu’à vouloir en faire leur métier. Elles ont aussi vécu l’essor spectaculaire du genre. «On le voit aujourd’hui au collège, ça parle Naruto, One Piece, Demon Slayer (NDLR : bestsellers du manga)… Dès qu’on aime les mangas, wouah ! C’est populaire», décrit Séléna. «Nous, quand on sortait un manga dans la cour de récré, on faisait partie des marginaux», se souvient-elle.

Le succès du manga en France est effectivement phénoménal : en dix ans, le marché hexagonal, deuxième au monde derrière le Japon, a été multiplié par quatre. Environ un livre sur sept acheté en France en 2022 a été un manga, avec une croissance qui devrait se poursuivre vu le jeune âge des lecteurs, selon une étude présentée lors du dernier festival de la BD à Angoulême.

Alors qu’elle était professeure d’arts plastiques en collège-lycée et amatrice de BD, Claire Pélier, la fondatrice de l’EIMA, est elle aussi tombée dans la passion manga. Elle a commencé par des ateliers pour ses élèves, a ensuite développé une école de loisirs dédiée, Toulouse Manga, avant de créer en 2016 l’EIMA qui est, avec la Human Academy, émanation d’un groupe japonais installée à Angoulême, l’une des deux seules écoles professionnelles dédiées à ce style en France. L’idée, c’était d’«éviter de faire une école d’art avec un diplôme qui ne sert à rien, de faire en sorte que de jeunes artistes aient les moyens de vivre de leur travail», souligne Aedan Dujardin, directeur adjoint de la jeune école.

Pour concocter son cursus, Claire Pélier, 38 ans aujourd’hui, s’est associée avec une mangaka japonaise, Chiharu Nakashima, également autrice d’une thèse sur l’enseignement du manga aux étrangers, et a pris soin de sonder au plus près les besoins des éditeurs spécialisés. Après six ans d’existence, une centaine d’élèves arpentent couloirs et escaliers de l’institution, richement décorés des dessins de ses diplômés, dans un bâtiment à la façade en briques, à quelques dizaines de mètres de la Garonne.

Parmi les premiers lauréats de l’EIMA, huit ont signé ou sont en passe de le faire avec d’importantes maisons d’édition, détaille la fondatrice. D’autres travaillent en studio d’animation, dans le jeu vidéo ou sont illustrateurs indépendants.  «Soixante-quinze pour cent de nos élèves trouvent du travail dans leur branche dans l’année qui suit leur formation», assure Claire Pélier, pour qui la nouvelle réussite de Marie et Séléna est «une fierté immense, la consécration de tout ce qu’on fait depuis des années». «Que les éditeurs viennent piocher parmi nos étudiants qui ne sont même pas encore sortis (…), c’est exactement ce qu’on visait, le projet est pas mal abouti», se réjouit-elle.