L’historienne et cinéaste Dominique Santana a réalisé une thèse et un projet transmédia sur la curieuse histoire entre le Luxembourg et le Minas Geiras.
Quelques clics sur la plateforme A Colônia Luxemburguesa et nous voilà transportés dans les profondeurs d’une curieuse histoire, qui lie le Grand-Duché à une mystérieuse cité industrielle du sud-est du Brésil. Au gré de ses appétences, on y découvre des archives du siècle dernier, des témoignages intrigants et des fiches interactives, qui forgent le récit bucolique de la ville de João Monlevade, berceau de l’industrie sidérurgique brésilienne et ancienne petite colonie grand-ducale du Minas Gerais. L’exhumation de ces lointains souvenirs du Luxembourg n’est autre que le fruit d’un travail pharaonique mené par Dominique Santana.
À la poursuite de ses origines, l’historienne et cinéaste luxemburgo-brésilienne a effectué un double travail universitaire, en élaborant successivement une thèse de 350 pages et un projet transmédia sur cette «version tropicale et étrangement familière» du Sud industriel du Luxembourg : «J’ai découvert cette histoire de colonie et de migrations par hasard, ce qui m’a motivée à commencer mon doctorat à l’université du Luxembourg, au Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C²DH)», dévoile Dominique Santana, la nostalgie dans la voix. Son premier voyage à João Monlevade, en novembre 2016, marquera le début d’une quête historique qui s’étalera sur quatre ans.
Un tournage délicat
Dans cette aventure, Dominique Santana n’est pas seule. Sa recherche bénéficie de l’appui et du soutien du C²DH et du Fonds national de la recherche, du Centre national de l’audiovisuel et de Samsa Film, qui endosse le rôle de producteur. Le projet, également financé par le Film Fund Luxembourg, devient donc la première collaboration entre l’université du Luxembourg et l’industrie du film luxembourgeois. L’enjeu est donc de taille. «J’ai fait des recherches pendant des mois à Monlevade, notamment dans les archives de l’entreprise. J’ai également rencontré de nombreux résidents brésiliens», retrace l’historienne.
Au fil des révélations historiques, l’historienne remplit les pages de sa thèse et s’attèle progressivement à concevoir un documentaire interactif qui relate les différentes facettes des dynamiques migratoires qui ont forgé cette ville tout au long du XXe siècle. «Le tournage au Brésil a eu lieu en novembre et décembre 2020, pendant la période critique du covid. Les conditions étaient strictes, il fallait veiller à garder son masque et à régulièrement faire des tests, se remémore Dominique Santana, qui a dû revoir la structure de son documentaire à la suite de ces complications. Tout le script écrit pour le tournage a dû être adapté, car il n’était pas possible d’avoir des interactions entre les différents personnages, et certains événements ont dû être annulés.»
Une narration dense
Malgré le contexte tumultueux, le projet transmédia voit le jour. En sept chapitres, l’historienne et l’équipe pluridisciplinaire qui l’accompagne retracent la grande époque du Minas Gerais à travers des trajectoires de vie, des témoignages personnels et une carte interactive qui nous téléporte au João Monlevade des années 50. Des récits surprenants apparaissent, çà et là, dans un format qui pousse naturellement à naviguer dans les différentes facettes de cette drôle d’histoire.
Des périodes et événements historiques sont narrés avec précision par des témoins luxembourgeois, à l’instar de Paulo Speller, leader des mouvements étudiants contre la répression de la dictature militaire durant le coup d’État de 1964, qui passera un an et demi en prison en 1968. «Dès le début, j’avais envie d’avoir un résultat qui soit le plus accessible possible au public, grâce à un travail de récupération, de restauration et de digitalisation des archives», confie l’historienne, qui a vu son travail révélé au grand public à l’occasion des festivités d’Esch 2022 et du Luxembourg City Film Festival.
Ce voyage à travers les siècles peut également être vécu via les deux kiosques [L]aço, des plateformes interactives et connectées situées à Belval et Monlevade, qui agissent tels des centres de mémoire : «Il n’y a pas de cinéma ou de musée à Monlevade. Ce [L]aço, qui signifie liens et, lorsqu’on enlève le L, acier, a donc une symbolique spécifique, qui est de reconstruire des liens passés pour tisser ceux du futur.»
Le projet peut être visualisé sur colonia.lu.