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[Critique] «Falcon Lake», film d’amour et de fantômes


Le portrait que Charlotte Le Bon fait de l’adolescence est à la fois intime et réaliste, la réalisatrice ayant «mis autant (d’elle) dans Bastien que dans Chloé», ses deux protagonistes.

Avec le magnifique Falcon Lake, Charlotte Le Bon adapte librement une bande dessinée de Bastien Vivès, qu’elle transforme en une romance intime et réaliste, bien que hantée par une atmosphère fantastique.

En France, Charlotte Le Bon s’est fait connaître en tant que «miss météo» dans Le Grand Journal de Canal+, en 2010, émission qu’elle a quittée au bout de dix mois pour se lancer dans une carrière d’actrice.

Aujourd’hui sort en salle son premier long métrage en tant que réalisatrice, Falcon Lake, dans lequel elle partage avec tendresse le premier amour d’un adolescent fasciné par une jeune fille plus expérimentée que lui. Fraîchement récompensé du prix Louis-Delluc du premier film, Falcon Lake avait été présenté en compétition, en mai, à la dernière Quinzaine des réalisateurs, section parallèle du festival de Cannes.

On y découvre les premiers émois amoureux de Bastien (Joseph Engel), 13 ans, «presque 14», parti pour le Canada avec sa famille pour les vacances d’été, chez une amie de sa mère. La fille de cette amie, Chloé, 16 ans, le pousse à dépasser ses limites pour lui plaire. Quand on lui demande quel mot résume le mieux Falcon Lake, Charlotte Le Bon rétorque : «Mélancolie, c’est un de mes mots préférés. Cette mélancolie que j’ai vécue au plus haut point dans mon adolescence, et qui me suit toujours, est pour moi une valeur refuge, un sauf-conduit. Il ne faut pas combattre la mélancolie, mais l’apprivoiser pour en faire une (…) amie pour la vie, contre la tristesse.»

Dans cette «histoire d’amour et de fantômes», Charlotte Le Bon dresse un portrait touchant et réaliste de ce moment de la vie où on est tiraillé entre jeux d’enfants et prise de risque, avec un protagoniste qui s’éveille en un été à l’alcool, à la fête, à la sexualité. Mais sans «aucun coup de foudre», précise la cinéaste. «Chloé et Bastien ont trois ans de différence. À cet âge-là, c’est un fossé immense. Elle est presque une femme, il commence l’adolescence. Ils s’approchent avec prudence, se testent et se guettent (…) Falcon Lake, c’est une petite enquête sur le désir.»

Si coup de foudre il y a eu, c’est hors-champ, entre Charlotte Le Bon et le jeune Joseph Engel, qu’elle a repéré dans deux films de Louis Garrel, L’Homme fidèle (2018) et La Croisade (2021). «Souvent, dans les teen movies, les garçons sont disgracieux, ingrats. Là, je voulais que Bastien soit beau et ait de la répartie, pour qu’on comprenne pourquoi Chloé s’intéressait à lui», a-t-elle défendu, précisant qu’elle a «mis autant (d’elle) dans Bastien que dans Chloé».

Avec Falcon Lake, Charlotte Le Bon adapte librement la bande dessinée de Bastien Vivès Une sœur, offerte par son ami l’acteur et réalisateur Jalil Lespert. «Il m’a dit très simplement : « Je crois que c’est pour toi et, si ça te plaît, je t’accompagnerai comme coproducteur de ton premier long métrage. » Il avait raison.»

«Pour moi, le réel défi était de me réapproprier le récit, d’en faire une œuvre intime», poursuit-elle. Un pari complètement réussi au terme d’un travail de deux ans : d’abord, la réalisatrice transpose l’histoire de la Bretagne au bord d’un lac de la région des Laurentides, au nord-ouest de Montréal, qui lui «sont familières depuis l’enfance». «J’avais besoin de cette familiarité pour à la fois me rassurer et bousculer mon personnage principal, qui est français.»

Falcon Lake, c’est une petite enquête sur le désir

Ensuite, la cinéaste a fait le choix d’ajouter dans l’œuvre dont elle s’inspire une atmosphère mystique. «J’y ai injecté de l’étrange, il y a une morbidité planante dans le film», avait-elle expliqué à Cannes. «J’ai été mise en contact très jeune avec la mort et, pour moi, c’est devenu quelque chose de familier, presque rassurant.»

Dans cette œuvre à la beauté renversante, le lac et la forêt participent à la création de cette atmosphère étrange. Par ailleurs, la réalisatrice, qui se dit fan du cinéma d’horreur, a fait le choix de tourner en pellicule 16 mm, format longtemps privilégié dans le genre et qui amplifie le sentiment d’ambiguïté et de déroute de l’ensemble.

«Petit détail drolatique : j’ai tourné Falcon Lake dans une petite ville des Laurentides qui s’appelle Gore. Notre base était située à côté d’un cimetière et, tous les midis, l’équipe mangeait près des tombes. C’était étrangement très sympathique.»

Question de (mauvais) timing, la sortie du film est parasitée par la polémique autour de l’auteur de BD Bastien Vivès, accusé de promouvoir la pédopornographie, notamment dans Une sœur. Une exposition rétrospective annulée au prochain festival d’Angoulême, deux enseignes françaises qui ont cessé de vendre ses ouvrages…

Bastien Vivès a fait couler beaucoup d’encre en ce mois de décembre. Mais Falcon Lake, qui échappe à tous les clichés sur le premier amour et la féminité, pourrait être l’adaptation qui fera mentir cette facette du scandale. Charlotte Le Bon, pour sa part, ne s’est pas exprimée sur le sujet. On imagine que la cinéaste laissera aux spectateurs le loisir de découvrir cette œuvre magnifique et envoûtante, qui parle d’elle-même.

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