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Délocalisations : le Luxembourg pas à l’abri


Circuit Foil (Wiltz) place un peu de son cuivre dans les batteries électriques. Un domaine visé par les mesures protectionnistes américaines adoptées en août dernier. (Photo : archives lq/anne lommel)

L’Europe craint une désindustrialisation nourrie par les prix élevés de l’énergie et le protectionnisme américain. Le Luxembourg est-il concerné ? Chambre du commerce, Fedil et ministère de l’Économie nous répondent.

C’est Xavier Bettel qui déclare au sommet Benelux : «On ne peut pas se permettre que des industries quittent nos régions parce qu’il deviendrait trop cher de maintenir la production.» C’est Ursula von der Leyen qui le constate : «Nous avons tous entendu parler de producteurs qui envisagent de délocaliser leurs futurs investissements de l’Europe vers les États-Unis.»

Les craintes qui agitent ces responsables politiques ont une double source : la hausse fulgurante des prix de l’énergie et l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation, IRA), soit un boulet pour la compétitivité des entreprises européennes et des mesures protectionnistes américaines potentiellement dévastatrices pour l’économie européenne.

Les prix élevés du gaz et de l’électricité n’ont-ils pas déjà entraîné des arrêts de production synonymes de chômage partiel pour nombre d’entreprises énergivores? Le géant de la chimie BASF n’envisage-t-il pas de délocaliser vers le pays de l’énergie moins chère, les États-Unis, comme il l’a fait savoir le mois dernier? Pour ce qui est de l’IRA et ses aides massives à la production, entre autres, de voitures électriques, sur le sol américain, n’a-t-il pas déjà conforté les investissements massifs des BMW, Volkswagen et Siemens (éolien) outre-Atlantique ?

Électricité : 2023 va faire mal à certains

Et le Luxembourg dans tout ça? La nouvelle donne a forcément un impact sur son économie ouverte, condamnée au souci de compétitivité, nous confirme René Winkin, le directeur de la Fedil. Et 2023, nous dit-il, risque encore d’accentuer le problème que fait peser la hausse du prix de l’énergie.

Alors que des contrats à terme de fourniture d’électricité vont arriver à échéance, certains acteurs, jusque-là protégés des hausses, vont se retrouver exposés aux prix stratosphériques actuels. Alors, certes, par exemple, la «sidérurgie, par moments, produit moins pour réagir aux prix élevés de l’énergie». Mais notre pays n’est pas forcément concerné directement par les délocalisations, nous explique René Winkin. Par contre, il peut être «touché par les conséquences» des mouvements dans l’industrie européenne.

«Si un constructeur automobile s’en va aux États-Unis, il n’est pas sûr que l’équipementier luxembourgeois qui lui fournit des pièces restera son fournisseur.» Lorsque BASF affirme vouloir quitter l’Europe, que deviendra l’industriel luxembourgeois client du géant de la chimie? Perdra-t-il ce précieux fournisseur? Le Luxembourg peut donc être visé par la menace en «deuxième ou troisième ligne», selon sa position «en amont ou en aval» de la chaîne de production par rapport au producteur européen qui plierait bagage. Ce serait le scénario d’une désindustrialisation européenne qui affecterait le Luxembourg. 

La délocalisation, une démarche très lourde

Pour ce qui est de l’IRA, qui a pour objectif de favoriser la production sur le sol américain d’hydrogène vert, de voitures électriques et de batteries, entre autres, si les États-Unis siphonnent ces domaines à coups de subventions, quid de Paul Wurth et ses investissements dans l’hydrogène vert, se demande le directeur de la Fedil. Quid du cuivre de Circuit Foil destiné aux batteries de certains véhicules électriques? Sans parler d’Accumalux et ses bacs et couvercles pour batteries. L’environnement économique leur sera-t-il alors aussi favorable?

Sondée sur le sujet, la Chambre de commerce exprime une inquiétude qui n’est pas nourrie par ces seules menaces. Bien sûr, nous dit son économiste Laure Demezet, des craintes existent parmi les entreprises énergivores qui officient dans la chimie, l’acier ou l’aluminium au Luxembourg, le différentiel des prix de l’énergie étant ce qu’il est. Début décembre, nous rapporte-t-elle, le mégawattheure (mWh) était à 42 euros aux États-Unis, 85 euros en Chine et 300 euros en France!

Mais comme une délocalisation exige des «mesures administratives et logistiques énormes», il y aura peu de candidats au Luxembourg sur la seule base du prix de l’énergie et des mesures protectionnistes américaines. Ce que confirment, même si le soutien de l’État a pesé dans la balance, les investissements de plusieurs fleurons de l’industrie comme DuPont ou Goodyear, entre autres.

«L’effet cumulatif»

Non, ce qui serait davantage source de délocalisation au Grand-Duché, selon la Chambre de commerce, ce serait le cumul – l’économiste parle d’«effet cumulatif» – de ces vents mauvais avec des coûts de production trop élevés au Grand-Duché. Et là, Laure Demezet nomme ce qui semble être la bête noire de l’institution où elle travaille : «l’indexation systématique», c’est-à-dire non modulée – trois tranches d’indexation sont encore prévues en 2023 – et «non conditionnée», soit le choix luxembourgeois d’une indexation offrant son bouclier même aux hauts salaires. En alourdissant les coûts salariaux, elle pourrait faire arbitrer en faveur d’une délocalisation. Les multinationales implantées au Luxembourg étant plus susceptibles d’agir de la sorte. 

Mais quelques éléments sont à même de rassurer, rappelle le ministère de l’Économie. Le Luxembourg a beaucoup d’atouts pour faire face à ce risque : faible endettement public qui offre une marge appréciable pour faire face à une situation de crise, infrastructures de qualité, main-d’œuvre qualifiée et multilingue.

On notera toutefois que sur le dernier point cité par le ministère, la Chambre de commerce émet une inflexion en craignant un risque de «délocalisation des travailleurs» : «Par rapport à d’autres pays européens, le télétravail est peu utilisé dans la finance au Luxembourg. Celui qui y travaille va commencer à se demander quel atout majeur la place financière luxembourgeoise a à lui proposer par rapport à Francfort ou Paris par exemple.» On ne peut décidément jamais se reposer sur ses lauriers.

Face au péril, l’Europe aiguise ses armes

Aller «plus vite» et «plus fort» : tel était l’appel du président français, Emmanuel Macron, à l’adresse des dirigeants européens, il y a quelques jours, en réaction aux mesures protectionnistes américaines. C’est que la compétitivité européenne est en péril.

René Winkin, le directeur de la Fedil, le déplore : «Le chemin européen est-il le plus prometteur en matière climatique ?», s’interroge-t-il. La politique répressive adoptée en la matière par l’Europe à coups de «quotas, réglementations, interdictions, taxe carbone» renchérit la production européenne.

Alors que les États-Unis entendent régler le problème à coups de subventions, donnant «un net avantage à leurs entreprises» et un grand attrait à une installation sur leur territoire, où en plus l’énergie est moins chère. Les aides aux entreprises prolongées Après avoir longtemps tergiversé, l’Europe semble avoir enfin été aiguillonnée par le danger.

Coup sur coup, ces derniers jours, elle a décidé le plafonnement des prix du gaz – qui, par contrecoup, aidera à calmer le jeu sur le marché de l’électricité – et elle a institué un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui obligera les industriels hors UE à respecter les mêmes règles du jeu que les Européens en matière de décarbonation.

Le Luxembourg n’est pas en reste, qui vient de prolonger jusqu’à mi-2023 son aide aux entreprises en matière d’énergie. Concernant cet enjeu, d’ailleurs, et le gouvernement le déplore, le danger vient aussi de la Grande Région, où ont cours, selon lui, des aides d’État sans doute trop généreuses au regard de ce que permet la Commission européenne.

Le réveil européen va se poursuivre, en attendant d’obtenir d’hypothétiques exemptions aux mesures américaines. Pour répondre du tac au tac aux États-Unis, on entend parler dans les instances européennes de «fonds européen de souveraineté pour soutenir des projets industriels».

Il est question d’infléchir sérieusement la doxa sur les aides d’État. Et le couple franco-allemand, qui a enfin trouvé une même longueur d’onde, affiche depuis un mois son unité face aux mesures protectionnistes américaines et a, il y a trois jours, appelé à une «politique industrielle offensive». On va voir ce qu’on va voir ?

2 plusieurs commentaires

  1. Il ne fallait pas soutenir des sanctions qui font infiniment plus de mal aux européens qu’aux russes.

  2. Patrick Hurst

    Bizzare comme l’index est toujours pointé comme « bête noire » de la compétitivité luxembourgeoise… et encore plus étrange que ceci sorte toujours de la bouche de dirigeants luxembourgeois: Jusqu’à présent, aucun investisseur étranger ne s’en est pleint… bien au contraire! Peut-être qu’il faudrait accepter cette réalité, amoins de vouloir se ridiculiser à tout prix!