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[Critique série] «L’Incroyable Périple de Magellan» : Embarquez avec le navigateur !


Le tour du monde de Magellan, c’est d’abord une histoire de survie, de courage et d’abnégation. (Photo : ARTE France)

L’incroyable Périple de Magellan, de François de Riberolles. Genre : documentaire. Durée 4 x 52 minutes. Chaîne : ARTE.

Pour l’amiral chilien Felipe Garcia-Huidobro Correa, ça ne fait pas l’ombre d’un doute : «C’est l’expédition la plus significative de l’humanité», plus importante, selon lui, que le voyage d’Apollo 11 à la découverte de la Lune. Une épopée hors du commun entamée à Séville en 1519 et achevée dans la douleur en 1522, que rappelle François de Riberolles dans un documentaire épique et captivant.

Au centre de l’histoire, on trouve une flotte de cinq bateaux et de 237 hommes dont Fernand de Magellan, navigateur portugais dont l’involontaire exploit (celui d’avoir réalisé le tout premier tour du monde par voie maritime) est longtemps resté dans l’ombre de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492.

Il a pourtant réussi là où son homologue a échoué : rejoindre les Indes par l’ouest. Une prouesse digne des plus grands romans d’aventure, mais seulement réhabilitée au XIXe siècle. La raison? L’audacieux explorateur, fin soldat, jouissait d’une réputation de traître.

En effet, son hardiesse et son courage au combat n’ayant jamais été reconnus par Manuel Ier, roi du Portugal, Fernand de Magellan a vendu ses services au plus offrant : «l’ennemi» espagnol et son jeune roi, Charles Ier, futur Charles Quint. À l’époque, les deux nations se livrent une guerre farouche sur les mers du globe, chacune voulant accaparer les richesses et les épices (valant autant que l’or) des terres lointaines.

Les convoitées Moluques

Mieux, grâce au traité de Tordesillas, signé en 1494 avec l’appui du pape, elles se partagent le monde en deux moitiés par une ligne de démarcation qui passe au milieu de l’océan Atlantique. Tout ce qui est côté ouest appartient à l’Espagne et à l’est au Portugal…

Mais aucune carte n’est capable de dire avec précision où se trouvent (et donc à qui appartiennent) les convoitées Moluques, îles situées dans l’archipel indonésien, les seules où l’on trouve des clous de girofle. Fernand de Magellan, qui cherche à les rallier, les place alors arbitrairement en zone espagnole. Une appréciation hasardeuse qui va avoir des conséquences dramatiques…

L’Incroyable Périple de Magellan, une odyssée en quatre parties rythmée par l’intervention, jamais pompeuse, d’historiens et des marins au long cours, détaille trois ans de navigation à vue sur les mers, au cours desquels complots, déboires et drames se sont succédé.

Des anecdotes permise grâce à la présence, à bord, de l’Italien Antonio de Pigafetta, chroniqueur officiel du voyage et l’un des 18 survivants de ce périple au bord du monde. Sous sa plume, rien n’est oublié : les conditions de voyage d’abord, loin des images d’Épinal des récits maritimes. Il y a le froid, la faim, les maladies, la promiscuité et les conditions d’hygiène exécrables (on appelait les vaisseaux espagnols les «cochons volants»).

Tensions et trahisons

Il y a aussi les préparatifs («Si je dois voyager deux ans, combien de brosses à dents dois-je emporter?», s’amuse Robin Knox-Johnston, premier navigateur autour du monde en solitaire et sans escale); les découvertes, comme celles, drôles, des manchots; les rencontres, aussi, des peuples d’Amérique, du Pacifique et de l’océan Indien, parfois bien «plus évolués» que les Européens.

Il y a enfin les tensions et les trahisons, comme cette tentative de mutinerie échafaudée par quatre capitaines espagnols, matée dans le sang. Au milieu de l’agitation des hommes et des flots, Fernand de Magellan, lui, reste imperturbable, œil noir et crucifix en poche, concentré sur sa mission, ses hommes et ses cinq bateaux (la Trinidad, le San Antonio, la Concepcion, le Santiago et la Victoria).

Car ce tour du monde, c’est d’abord une histoire de survie, de courage et d’abnégation, à l’image des difficultés rencontrées par l’armada pour trouver une sortie vers l’océan (que le navigateur baptisera «Pacifique», en raison d’une météo clémente quand la flotte entame sa traversée qui durera 105 jours, sans escale).

«Un suicide masqué»

Ou quand, arrivé aux Philippines, convaincu de s’être trompé dans ses calculs, Fernand de Magellan mène une offensive mal préparée contre un roi local qui refusait de se convertir au christianisme. «Un suicide masqué», témoignent les intervenants.

Mort en 1521, le navigateur laisse les rares survivants, éparpillés sur deux navires, terminer l’expédition à sa place et ramener les précieuses épices…

Servi par de superbes vues aériennes de paysages, et par les dessins du studio Remembers, fondé par Ugo Bienvenu, le documentaire hisse la grand-voile et raconte ce héros maudit, déjà dépeint avec brio en 1938 par le romancier Stefan Zweig.

Une piqûre de rappel qui n’est pas de trop, car cinq siècles plus tard, le tour du monde à la voile représente toujours un défi humain colossal et une aventure qui ne cesse de fasciner.