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[Musique] Noël dans toutes les oreilles


De nombreux artistes se sont essayés à l'album de Noël. (Photo DR)

Classique, moderne ou tout bonnement improbable, l’album de Noël est une tradition indémodable. Une plongée à travers quelques pépites et «nanars» musicaux en guise de premiers cadeaux sous le sapin.

Nous voilà arrivés à ce moment de l’année où Mariah Carey peut à nouveau enfiler son costume préféré et Michael Bublé sortir de la tanière où il hiberne onze mois sur douze. Car que seraient Noël et les fêtes de fin d’année sans la bonne dose de kitsch qui va avec? Sur les réseaux sociaux, c’est même devenu un jeu : Mariah Carey, toujours très dévouée dans son rôle de mère Noël, dégaine la première, dans des vidéos Instagram qui, de plus en plus, ont l’allure d’un cauchemar qui continuera de nous dévorer jusqu’au Noël suivant. Mais il faut être honnête : même 28 ans après la première overdose, All I Want for Christmas Is You reste l’apothéose du chant de Noël moderne et, oui, une excellente chanson pop.

Depuis Frank Sinatra (A Jolly Christmas from Frank Sinatra, 1957) et Elvis Presley (Elvis’ Christmas Album, 1957), l’album de Noël est devenu un passage obligé pour toute star de la chanson qui se respecte. Pour le public, en revanche, c’est souvent une plaie inévitable, exception faite de quelques pépites qui se cachent dans la hotte de l’homme en rouge. Cette année ne fait pas exception : Cliff Richard, Andrea Bocelli et André Rieu – la version réelle des fantômes de Noël passé, présent et futur de Dickens – sont tous de retour avec un nouveau disque rempli de vieilleries.

Noël soul et psychédélique

Autant, donc, aller piocher du côté de chez Verve : le label de jazz vient de sortir Louis Wishes You a Cool Yule, très belle compilation signée Louis Armstrong, qui a droit officiellement à son premier album de Noël. L’occasion d’y (ré)entendre, au coin du feu, les chaleureux I’ve Got My Love to Keep Me Warm (en duo avec Ella Fitzgerald) et l’hymne Winter Wonderland, ainsi que Christmas Night in Harlem et ‘Zat You, Santa Claus?, deux titres pleins de swing, et l’inédit A Visit from St. Nicholas.

Le dernier enregistrement de «Satchmo», réalisé seul, chez lui, quelques semaines avant sa mort, en 1971, est enrichi d’un nouvel accompagnement au piano, qui lui donne la forme d’un merveilleux exercice de «spoken word». De leur côté, Alicia Keys et Macy Gray promettent un Noël «soul» avec leurs respectifs Santa Baby et Christmas With You : si le premier tire son point fort d’une poignée de chansons originales (dont l’enivrant December Back 2 June), le second s’en tient aux classiques… avec une réinterprétation explosive. On n’en attendait pas moins de Macy Gray, qui s’était totalement réapproprié Winter Wonderland, au point de s’en faire une chanson signature.

Des codes bien précis

L’exercice de style qu’est l’album de Noël continue de véhiculer ses propres codes, même chez les nouveaux arrivants : les sons de grelots sont incontournables, au même titre que l’image du baiser sous le gui. Même les Beach Boys (The Beach Boys’ Christmas Album, 1964), qui ont eu l’audace de mélanger chants traditionnels et compositions originales de «surf music» sur le thème de Noël, s’y sont tenus. On ne peut pas en dire autant du «parrain de la soul», James Brown, et de ses albums classiques Christmas Songs (1966) et A Soulful Christmas (1968), chargés à bloc d’un groove qui pourrait exploser à tout moment (préférablement entre la dinde et la bûche).

On connaît tous l’hymne militant Say It Loud (I’m Black and I’m Proud), on sait peut-être moins que James Brown l’a enregistré pour son Soulful Christmas, celui-là même où il apparaît en costume de père Noël. C’est dans le même accoutrement, une barbe blanche approximativement collée au menton, qu’apparaît Jimi Hendrix sur Merry Christmas and Happy New Year, deux titres méconnus qui contient notamment un medley de Little Drummer Boy, Silent Night et Auld Lang Syne, réunis dans une bacchanale psychédélique et électrisante de plus de sept minutes. Niveau cassage de codes, Brown et Hendrix se posent en patrons.

«Satan» Claus

On pourrait croire que le rap aurait été le premier à revendiquer le renouveau de l’exercice du disque de Noël, chose que n’avaient jamais vraiment faite d’autres styles à vocation revendicatrice, comme le punk. Le hip-hop a bien ses quelques classiques de fin d’année, de Christmas in Hollis de Run-DMC au Christmas Rappin’ de Kurtis Blow, mais, à l’exception de la – très inégale – compilation Christmas in tha Dogghouse (2008), où le «Santa Pimp» rouleur de sapins Snoop Dogg s’entoure de ses plus proches collaborateurs pour des fêtes sous le signe du gangsta rap, le mariage reste rare. Même les mixtapes Santa Sauce (2016 et 2019) du rappeur belge Hamza laissent ses fans perplexes…

À cet exercice, on reconnaîtra plutôt la valeur du projet fou de CeeLo Green (CeeLo’s Magic Moment, 2012), qui permet au rappeur d’Atlanta de se représenter, lui aussi, en livreur de cadeaux, non pas en traîneau mais dans un «gamos» piloté par le renne Rodolphe et tiré par quatre chevaux blancs. Si vous jugez la pochette assez dingue, attendez d’entendre sa réinterprétation funk de Mariah Carey ou sa chanson de Noël en duo avec… les Muppets.

Avec leurs albums de Noël qui cassent les codes, James Brown et Jimi Hendrix se posent en patrons

Au petit jeu de qui dépassera les limites du kitsch, il y a bien sûr des champions, profondément terrés dans les entrailles des bacs aux disques à un euro. Des imprévisibles. Des inécoutables. Qui aurait cru, par exemple, que l’intérêt de l’acteur Christopher Lee, éternel Dracula, pour la musique metal donnerait lieu à l’un des pires albums de Noël jamais enregistrés (A Heavy Metal Christmas, 2012)? Y jeter une oreille rapidement ne coûte rien, sinon le regret de ne pas être sourd.

Un certain sens du sacrifice

Après tout, «Santa» est bien l’anagramme de «Satan»… Pour une bonne tranche de rire, on préférera se rabattre sur l’aventure, tout aussi hasardeuse, d’un autre vétéran du grand et petit écran : William Shatner, le capitaine Kirk de Star Trek. À 87 ans, avec Shatner Claus (2018), il enregistre des classiques qui sentent le sapin, qu’il récite plus qu’il ne chante, en s’entourant d’une flopée d’invités plus ou moins attendus. Comme un certain Iggy Pop, qui donne de sa voix de crooner sur Silent Night.

Après avoir subi Christopher Lee et William Shatner, difficile de donner du crédit à celles et ceux qui se disent traumatisés par Mariah Carey en habit rouge chantant All I Want for Christmas Is You. Il est cependant vrai qu’écouter un album de Noël, même dans sa plus pure tradition, appelle à un certain sens du sacrifice. Quiconque affirme le contraire n’a jamais été obligé d’aider ma mère, chaque dernier dimanche de novembre, à décorer le sapin et tout l’appartement au son de l’album caritatif Noël ensemble (2000). Petit papa Noël par Florent Pagny, Mon beau sapin par Patrick Fiori et les polyphonies corses ou encore Ave Maria par les troupes des comédies musicales Roméo et Juliette et Les Dix Commandements : c’est encore du trauma que vous cherchez?