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[Cinéma] Will Smith, retour de gifle?


«Emancipation» s'inspire de l'histoire de «Whipped Peter», un esclave noir passé à la postérité pour le traitement barbare que lui ont infligé ses maîtres. (Photo : Apple Inc)

Emancipation sort cette semaine aux États-Unis avec Will Smith dans le rôle phare. Première apparition de l’acteur depuis sa claque à Chris Rock aux Oscars, ce film historique sur un sujet grave arrivera-t-il à se défaire de cette encombrante étiquette?

Ce devait être un film poignant sur la fuite d’un esclave à travers les marais de Louisiane, mais avant sa sortie aux États-Unis, Emancipation s’est vu accoler une étiquette inattendue : il s’agit du premier film de Will Smith depuis sa gifle aux Oscars. Ce qui inquiète son réalisateur, Antoine Fuqua.

Les professionnels de Hollywood misaient plutôt sur un report à cause du scandale, mais Apple, qui produit le long métrage, a décidé de le sortir ce week-end sur les écrans américains, malgré les craintes d’un possible boycott du public.

«Je suis très inquiet à ce sujet», confie Antoine Fuqua, qui espère que le message de son film ne va pas être englouti par le parfum de soufre entourant son acteur principal. «J’espère que le public aura assez de compassion pour au moins aller voir le travail qu’il a fourni, car ce qu’il fait dans le film est extraordinaire», ajoute le réalisateur.

Avant de choquer le monde entier en giflant sur la scène des Oscars l’humoriste Chris Rock, à cause d’une blague douteuse concernant la perte de cheveux de sa femme, Will Smith a conquis Hollywood depuis les années 1990 et «a été un homme bien, devant nous tous, pendant 37 ans», rappelle le cinéaste.

Inspiré de faits réels

Emancipation s’inspire de l’histoire de «Whipped Peter» ou «Peter le fouetté», un esclave noir passé à la postérité pour le traitement barbare que lui ont infligé ses maîtres, avant qu’il ne s’échappe d’une plantation de coton pendant la guerre de Sécession américaine. Les photos de son dos, complètement lacéré par les coups de fouet, sont restées dans l’histoire comme une preuve indélébile de la brutalité de l’esclavage.

Will Smith incarne ce personnage s’échappant des griffes de maîtres cruels, et dont Antoine Fuqua imagine la fuite à travers les marais poisseux de Louisiane, remplis d’alligators, de serpents et d’autres dangers. Le réalisateur filme cette quête de liberté à la manière d’un thriller à suspense, plus que d’un drame historique, et montre de front les sévices infligés aux esclaves. Brutales, les scènes de violence rappellent celles du film 12 Years a Slave, plusieurs fois oscarisé.

La performance de Will Smith est indéniable, mais de nombreux critiques se demandent si le retour de l’acteur sur les écrans n’est pas prématuré, à peine huit mois après sa gifle. Interdit de cérémonie des Oscars pendant dix ans, après avoir lui-même démissionné de l’Académie, l’ancien Prince de Bel Air peut en théorie toujours être nominé et remporter une statuette. La sortie d’Emancipation ce mois-ci permet d’ailleurs à Apple de proposer son film aux Oscars.

Débats mémoriels

Will Smith, qui s’est publiquement excusé, «a eu tort» de s’emporter lors des derniers Oscars, insiste Antoine Fuqua, en espérant qu’il se réconcilie avec Chris Rock loin des projecteurs. Mais «Will est un bon gars, je le soutiens», ajoute le réalisateur. Pendant le tournage difficile dans les marais de Louisiane, l’acteur «ne s’est jamais plaint», souligne-t-il.

En outre, le cinéaste insiste sur le besoin impérieux de sortir Emancipation, à un moment où les questions mémorielles autour de l’esclavage provoquent de multiples crispations aux États-Unis.

«Il y a des discussions pour ne pas enseigner l’esclavage dans certaines écoles, comme s’ils voulaient effacer le passé», s’indigne Antoine Fuqua. Le Parti républicain s’est fermement opposé à des réformes qui envisageaient de modifier la manière dont l’esclavage était enseigné et d’aborder la question du racisme systémique.

Les enfants américains ne devraient pas «apprendre que notre pays est mauvais par nature», ont estimé l’an dernier le patron des conservateurs au Sénat, Mitch McConnell, et d’autres parlementaires.

Antoine Fuqua dresse, lui, un parallèle entre ces résistances et les clichés de «Whipped Peter», qui ont été nécessaires pour faire taire les voix qui tentaient de minimiser les horreurs commises au nom de l’esclavage à la fin du XIXe siècle. «C’est pour ça qu’il est si important de garder les musées ouverts, de faire vivre toutes ces choses», juge-t-il. «Beaucoup d’enfants ne savent même pas ce qu’est l’esclavage.»