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Le suicide d’une frontalière devant la justice


Dans sa voiture, Corinne avait laissé une lettre où elle avait écrit : «Merci à (nom de l'enseigne au Luxembourg) d'avoir gâché ma vie.» (photo RL / Karim Siari)

En 2013, l’employée d’un magasin de vêtements à Luxembourg se suicidait. Ses parents bataillent en justice pour faire condamner l’enseigne. Les parents voulaient des mots d’excuse. Et n’ont reçu que déni. Le procès a eu lieu lundi à Thionville. Verdict le 23 novembre.

Leur avocat les avait prévenus. Stanislas Louvel avait annoncé à ces parents que le droit ne fait parfois pas bon ménage avec la décence. La maman a préféré passer son tour, on jurerait qu’elle a bien fait. Assis au premier rang de la chambre civile de Thionville, le père de Corinne Bertrand est, lui, resté stoïque devant le grand déballage de la vie de sa fille.

Ses derniers mois, ses tourments, sa mort le 20 décembre 2013 sur les voies de la gare de Thionville, après des mois passés à ruminer un mal-être au sein de la chaîne de prêt-à-porter. Un père toujours imperturbable lorsque l’employeur de sa fille s’est défendu de toute responsabilité, en allant jusqu’à remettre en cause la réalité du suicide… « Ce dossier est douloureux et, malheureusement, l’autre partie n’a fait qu’attiser les braises », désapprouve Me Louvel, l’air grave. « Mes clients ne demandaient qu’une chose à… (NDLR : nom de l’enseigne), quelques paroles de réconfort, que les responsables reconnaissent que la mort de Corinne était le fruit de leurs actes, de leurs décisions et du traitement de leur employée. » Ils voulaient entendre que Corinne n’est pas morte par hasard, ce matin froid de décembre.

Retrogradée simple vendeuse

Cette enseigne, c’était treize ans de sa vie. Elle avait gravi les échelons un à un, jusqu’à devenir responsable de caisse dans un magasin du Luxembourg. Quelques mois plus tard, elle a dégringolé plusieurs étages pour avoir décidé de compenser un trou de caisse de 200 euros avec son argent. Une initiative « qui prouve le professionnalisme » de la Mosellane de 47 ans, selon l’enseigne. Une initiative toutefois interdite qui lui vaut des ennuis, et une rétrogradation au rang de simple vendeuse.

Une de ses collègues a confié aux policiers, qui enquêtaient sur le décès, combien Corinne avait été soulagée de ne pas être licenciée. Une façade. Parce que la jeune femme, sportive, enjouée, s’enfonce dans la dépression. À l’époque, ses proches ne remarquent pas grand-chose. Mais pour la première fois de sa vie, la victime se perd dans les psychotropes.

La veille du drame, elle dîne avec son compagnon. Ils boivent du champagne, ils dansent. « Qui sait si le mélange alcool et médicaments n’a pas été un cocktail vertigineux », ose l’avocate de l’enseigne. Le compagnon de la défunte se souvient de ce moment comme le dernier cadeau offert par Corinne. « Elle savait qu’il s’agissait de notre dernier repas », a-t-il dit aux policiers.

Le lendemain, elle se fait happer par un train de marchandises. « Oui, le conducteur du train sent un choc sur le côté droit. Elle n’était donc pas allongée sur la voie. Non, vraiment, le suicide n’est pas démontré », assène l’avocat des mis en cause. « Et si vous estimiez qu’il y a eu suicide, alors vous écarterez toute responsabilité de… NDLR : nom de l’enseigne). Il n’y a jamais eu de harcèlement de notre part. »

« Le harcèlement ne concerne pas seulement des actes ou des brimades répétés. Il se trouve aussi dans un changement de cadre de travail forcé », lui répond à distance Me Louvel. « Chacun réagit différemment face à cela. Le suicide est quelque chose de très complexe… »

Une pièce aiguillera peut-être le tribunal. Dans sa voiture, Corinne a laissé une lettre dans laquelle elle a couché sa souffrance : «Merci à … (NDLR : nom de l’enseigne) d’avoir gâché ma vie.»

Le président Lambert s’est laissé jusqu’au 23 novembre pour déterminer les responsabilités dans l’enchaînement tragique des évènements.

Kevin Grethen (Le Républicain lorrain)