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Iraniens du Luxembourg : «Maintenant, nous sommes tous unis et c’est un grand bonheur»


Ehsan Tarinia, originaire du Kurdistan iranien, a rejoint le Luxembourg en 2005.  (Photo : Julien Garroy)

Plus de 40 jours après la mort de Mahsa Amini, les manifestations en Iran se poursuivent sur fond de répression. Ehsan Tarinia, journaliste et traducteur à l’ASBL Simourq, analyse cet esprit de contestation au pays perse, mais également dans la diaspora iranienne au Luxembourg.

Avec la ferme intention de faciliter et renforcer la présence effective de la communauté immigrée iranienne au Luxembourg, l’association Simourq propose un large éventail de services et d’aides dans les domaines social, culturel et économique. Véritable plateforme d’intégration, la structure ne poursuit aucun objectif de groupes spécifiques, qu’ils soient politiques ou religieux. Une caractéristique qui lui a permis d’unir la diaspora iranienne au Luxembourg, alors que les manifestations au pays perse battent toujours leur plein.

Dans un premier temps dirigée contre la politique misogyne et doctrinaire, la colère des Iraniens s’est peu à peu orientée vers les fondements mêmes de la République islamique. Selon le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme en Iran, Javaid Rehman, au moins 250 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre depuis mi-septembre. Un état des lieux qui ne laisse pas de marbre Ehsan Tarinia, journaliste et traducteur à l’association Simourq. Ce dernier, qui a rejoint le Luxembourg en 2005, se livre sur la situation actuelle dans son pays, mais également sur le sentiment de solidarité qui anime les Iraniens, ici et là-bas.

Quelles ont été vos réactions quand vous avez observé le soulèvement en Iran après la mort de Mahsa Amini?  

Ehsan Tarinia : J’ai découvert cette affaire sur Twitter. On a donc une fille de 22 ans, qui tout comme moi, vient de la province iranienne du Kurdistan. Elle se rend dans la capitale et se fait tuer par la police iranienne. Quand il se passe quelque chose comme ça, je ne peux pas rester silencieux. En Iran déjà, j’étais journaliste, donc j’ai décidé d’écrire un article, mais je ne pouvais pas me limiter à ça. Je devais faire quelque chose.

Quand les manifestations ont éclaté, nous avons demandé à déi Lénk de faire une petite cérémonie lors de la fête contre la vie chère, le 25 septembre. Peu après, nous avons eu les autorisations pour une manifestation, qui a eu lieu le 27 septembre, place de Clairefontaine. Après, il faut évidemment savoir que ce n’est pas la première fois qu’il se passe quelque chose en Iran. Le régime contrôle les gens avec le droit islamique par le biais de la police des mœurs, notamment les femmes, qui sont considérées comme une propriété. Mais elles ne sont pas les seules concernées, puisque moi-même, je n’avais pas le droit de porter des tee-shirts à manches courtes avec un short.

Nous sommes donc nés avec cette histoire et nous nous sommes habitués à ça. Maintenant, pourquoi ça a été différent avec Mahsa Amini? Il y a tout simplement eu une accumulation de colère sur ces dernières années, qui s’est exprimée à ce moment-là. C’est comme une cave remplie de gaz et qui a juste besoin d’un briquet pour exploser. La mort de Mahsa Amini a été ce briquet.

Quels sont les retours que vous avez de votre famille, de vos amis ou des personnes avec qui vous êtes en contact, sur la situation en Iran?  

Il y a des points de vue différents. Une partie de ma famille, notamment celle qui vit dans des régions avec un taux d’alphabétisation faible et où il n’y a pas d’écoles, est d’accord avec les lois islamiques strictes. Elle pense que cette manifestation est uniquement en lien avec le port du hijab, mais je leur explique que ce n’est pas uniquement la question. Le plus important, c’est la liberté. Néanmoins, il s’agit surtout de gens du Nord et de l’Est.

Dans notre ville, Sanandaj, située dans le Kurdistan iranien, il y a des manifestations tous les jours. Pendant une semaine, trois de mes cousins avaient même disparu dans une des manifestations, car ils ont été arrêtés par la police iranienne. Ils sont en colère et, pour eux, il doit se passer quelque chose maintenant. Même les différents partis kurdes iraniens se sont assemblés pour déclarer qu’il fallait aider le pays dans cette contestation, avec comme idée principale, cette phrase : « Solidarité pour l’Iran ».

Les moudjahidines ont d’ailleurs participé à notre programme pour la première fois, or jamais cette organisation ne s’était assemblée avec nous

Est-ce que vous êtes amené, avec votre association, à accueillir des réfugiés politiques ou des personnes qui fuient le régime des mollahs, et comment veillez-vous à leur intégration au Luxembourg?

Il y a des réfugiés dans notre association, mais il s’agit plutôt de personnes sur le territoire qui voyaient nos actions pour les Iraniens. Beaucoup nous ont rejoints, notamment après la première manifestation que nous avons organisée. L’objectif de Simourq se concentre davantage sur l’intégration. Nous créons des vidéos éducatives sur comment obtenir un permis de conduire luxembourgeois, s’inscrire à des cours de langue ou faire des démarches administratives. Nous avons également des podcasts en langue persane afin de donner des informations, surtout aux gens qui travaillent dans l’administration. On propose aussi des traductions en perse, kurde et arabe pour des gens avec des petits budgets.

C’est cette idée qui fait la différence avec les autres associations, puisque nous proposons des formulaires administratifs du guichet.lu pour faciliter les démarches. Cela concerne les services d’immigration ou de logement, donc si vous êtes un réfugié et que vous ne savez pas comment faire, il y a cet outil. Enfin, quand le coronavirus est arrivé, nous avons créé le site web Luxembourg Che Khabar, un quotidien luxembourgeois en persan. Chaque jour, on publie dix articles sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, il y a aussi des groupes sur Telegram, Facebook et Whatsapp pour ceux qui ont des questions.

Est-ce que la communauté iranienne au Luxembourg, en ces temps marqués par les manifestations, affiche des dissensions ou se montre-t-elle plutôt soudée?  

Il y a environ 2 000 personnes dans la diaspora iranienne au Luxembourg. Il y a énormément de divisions, comme dans notre pays. Dans un groupe, par exemple les communistes, il y a différentes branches qui ne s’entendent pas. C’est la même chose avec les religions, puisque les chrétiens, les musulmans ou les adeptes du bahaïsme ne se mélangent pas en temps normal. Mais étant donné que nous sommes une association neutre, il y a une certaine confiance des gens dans notre structure. Les moudjahidines ont d’ailleurs participé à notre programme pour la première fois, or jamais cette organisation ne s’était assemblée avec nous.

Maintenant, nous sommes tous unis et c’est un grand bonheur. Je n’ai jamais vu dans ma vie un tel esprit de solidarité entre tous les Iraniens. C’était aussi le cas lors de la révolution de 1979, mais Khomeini a ordonné la création d’une République tout seul, avant de menacer tous les partis iraniens. C’était un dictateur, comme Khamenei aujourd’hui.

Comment jugez-vous la position de l’Europe, et plus particulièrement du Luxembourg, sur l’Iran et est-ce que votre association a un soutien du Grand-Duché?  

Nous n’avons jamais eu un financement de la part de l’État! Tous les ans, on propose un projet et on fait une demande, mais à chaque fois, elle est rejetée. Pourquoi? Peut-être parce que nous ne sommes pas luxembourgeois. Je ne sais pas, je n’ai jamais eu de réponses exactes, mais je vais continuer à prendre des preuves de ces refus et les montrer à Xavier Bettel quand je le pourrai. Concernant la position de l’Europe sur les événements en Iran, je trouve qu’ils ne font que parler et menacer, mais à la fin, il se passe quoi? Par exemple, je connais plusieurs entreprises iraniennes, dont les comptes sont au Luxembourg, qui financent le gouvernement iranien. Il faut s’attaquer à cet argent caché, comme on le fait actuellement avec la Russie.

Au départ du Glacis, une manifestation de soutien à l’Iran

À l’appel de Simourq, le collectif des Iraniens vivant au Grand-Duché de Luxembourg, avec le soutien du Comité pour la défense des droits de l’homme en Iran, organise une manifestation ce samedi, à 15 h. L’événement se produira en même temps que d’autres rassemblements dans tous les pays du monde, à l’instar des États-Unis, du Canada ou encore du Japon. Cette manifestation a pour vocation de soutenir un Iran libre et démocratique, en appelant à la solidarité du peuple iranien qui se soulève pour le respect des droits des femmes et des hommes.

Le cortège formera, dans un premier temps, une chaîne humaine, place du Glacis, dès 15 h. Dans un second temps, le mouvement rejoindra la place de l’Europe afin de faire entendre lesdites revendications quant au changement du régime iranien en place. Les Iraniens du Land de Rhénanie-Palatinat se joindront également à la manifestation.