Alors que la mobilisation déclenchée par la mort de Mahsa Amini est entrée dans sa cinquième semaine, des manifestants sont venus soutenir le soulèvement iranien depuis la place de l’Europe. Tous exhortent l’Union européenne à prendre des «sanctions totales» contre le régime de Khamenei.
Au cœur de la place bancaire et financière du Luxembourg, dans le quartier du Kirchberg, une rangée d’imposants drapeaux iraniens forment un corridor vers la place de l’Europe. Les lueurs du soleil méridional subliment les couleurs de ces pièces d’étoffe, ornées du lion solaire, l’emblème de la Perse royale. Les musiques traditionnelles et les compositions aux tambours s’imposent aux vrombissements habituels des voitures et des camions, alors que des slogans sont scandés à intervalles réguliers.
Nul besoin de parler le farsi pour cerner la teneur des propos vociférés par les manifestants, constamment galvanisés par les discours qui s’enchaînent depuis une modeste estrade. À l’appel du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI), la faction de l’opposition iranienne contre la République islamique, un rassemblement s’est tenu hier matin, sur le pourtour de l’European Convention Center Luxembourg. Entre 150 et 200 partisans du CNRI, sympathisants de l’Organisation des moudjahidines et expatriés iraniens, se sont réunis pour apporter leur soutien aux manifestations qui traversent leur pays depuis un mois.
«La négociation avec les criminels doit cesser»
Rappelons les faits en quelques mots. Le 13 septembre, Mahsa Amini avait été arrêtée par la police des mœurs pour «port de vêtements inappropriés», avant de décéder, trois jours plus tard. Dans la foulée, des manifestations, majoritairement portées par des femmes et des jeunes Iraniens, ont embrasé plusieurs villes du pays perse. Ce soulèvement s’est accompagné d’un éventail de revendications, prônant liberté et démocratie, alors que la répression du régime des mollahs s’est montrée particulièrement féroce : 215 personnes ont été tuées par les forces de sécurité depuis le début des manifestations, selon l’ONG Iran Human Rights.
Un bilan macabre, qui a suscité l’ire et la tristesse d’une grande partie de la population mondiale, au regard des différentes mobilisations qui ont pris place aux quatre coins du monde : Paris, Montréal, Sydney et, aujourd’hui, Luxembourg. Rien d’anodin dans le lieu et la date, puisque la manifestation se tenait le même jour que le Conseil «Affaires étrangères» de l’Union européenne, organisé au Grand-Duché : «L’Europe a eu une politique d’apaisement, mais tout cela doit se finir. À présent, il faut prendre des sanctions économiques et diplomatiques, notamment contre le ministère du Renseignement iranien et les unités du régime des mollahs, exhorte Aladdin Touran, membre du CNRI. Il faut également rappeler les ambassadeurs qui sont en Iran, car la négociation avec ces criminels doit cesser.»
« La politique de la complaisance est terminée »
Même son de cloche auprès d’Azadeh Alemi, membre de l’Association des femmes iraniennes de France, qui invite l’Europe à «prendre des sanctions totales contre la police des mœurs et les gardiens de la révolution» : «Il y a tellement de droits élémentaires bafoués, qu’il faut à présent prendre le régime des mollahs à la gorge. La politique de la complaisance est terminée», clame-t-elle, avant de conclure sa tirade par le mantra de ce soulèvement : «Femmes, vie, liberté.»
«La peur change de camp»
En tête du cortège, des femmes, tantôt voilées, tantôt cheveux au vent, tiennent des portraits de Massoud Radjavi, le fondateur historique du Conseil national de la résistance. Leurs mains présentent d’imposantes taches de peinture rouge, symbole du sang du peuple iranien qui coule sous les coups de la politique autoritaire et répressive du guide suprême, Ali Khamenei : «Elles sont l’avant-garde et le moteur de ce soulèvement, car il ne faut pas oublier que le caractère premier de ce régime, c’est sa misogynie. Elles sont les premières victimes de l’oppression», clame Rassoul Tabrizi, ancien prisonnier politique de la République islamique de 1981 à 1991, dont cinq ans dans le complexe pénitentiaire d’Evin.
Le week-end dernier, cette prison réputée pour accueillir des opposants au régime des mollahs, a été le théâtre d’un impressionnant incendie, tandis que des tirs nourris, provenant de l’intérieur de l’enceinte, se sont régulièrement fait entendre. Des centaines de personnes y sont incarcérées depuis le début des manifestations : «Le régime a toujours mis des obstacles à nos luttes et nos revendications, mais après 40 ans de crimes, accompagnés par un silence dans le monde entier, il y a enfin une ouverture. La peur change de camp», s’enthousiasme Rassoul.
Outre les discours, les chants et les slogans scandés, les organisateurs ont également exhibé, sur un long tapis rouge, des portraits des «martyrs» du soulèvement national. Des femmes et des hommes, souvent jeunes, composent ce triste tableau : «Ils voulaient juste être libres…», glisse une femme, alors que les manifestants remballent leurs affaires, dans l’attente d’une décision de l’Union européenne.
Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont adopté, dans la foulée de la manifestation, des sanctions contre la police des mœurs et onze dirigeants iraniens impliqués dans la répression des manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini. La liste des sanctions, publiée au Journal officiel de l’Union européenne, inclut onze responsables iraniens, dont le ministre des Technologies de l’information et des Communications, Issa Zarepour, et quatre entités, dont la police des mœurs. Ils feront l’objet d’une interdiction de visa et d’un gel des avoirs de la part de l’UE.
Cette liste, qui avait été approuvée la semaine dernière par les ambassadeurs de l’Union européenne à Bruxelles, comprend aussi le chef de la police des mœurs iranienne, Mohammad Rostami Cheshmeh Gachi. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada ont déjà annoncé leurs propres sanctions contre l’Iran pour ces violations des droits humains.