Dans son avis annuel sur 2022, le Conseil économique et social (CES) met en garde quant aux répercussions du télétravail sur l’économie luxembourgeoise : le commerce local ou le secteur de l’Horeca pourrait sérieusement en souffrir, tout comme les finances publiques.
Alors qu’en 2019, seuls 11,6 % des actifs résident au Luxembourg déclaraient télétravailler au moins un jour par semaine, avec la crise sanitaire, leur nombre a littéralement explosé pour atteindre 69 %, selon le Statec : 48 % des travailleurs (salariés et indépendants) étaient en télétravail complet lors du confinement, 21 % en alternance, tandis que 31 % ont continué à travailler sur site.
L’administration publique et le secteur des activités financières et d’assurance se démarquent par une croissance exceptionnelle, où la part du télétravail a plus que quadruplé, contrairement aux activités de transport, au commerce, au secteur de l’Horeca ou à celui de la santé, qui nécessitent des interactions.
Le télétravail a ainsi percé en tant que mode de travail alternatif, compte tenu de sa continuité et de son intensité, estime le Conseil économique et social (CES) dans son avis annuel 2022, publié jeudi.
Une opportunité qui comporte des risques
Si le télétravail peut être une opportunité pour concilier qualité de vie des salariés (trajets réduits, horaires plus souples) et performance de l’entreprise (coûts moindres, image moderne), ce régime comporte aussi des risques selon le CES, tant pour l’employeur, sur un plan de performance et de productivité, que pour les salariés, sur un plan d’organisation du travail.
Le Conseil juge ainsi que l’impact sur l’économie locale, mais aussi sur le modèle économique et social ou les finances publiques, est réel.
Suivant les différentes conventions fiscales conclues entre le gouvernement et les pays frontaliers, les collaborateurs d’une même entreprise peuvent être soumis à quatre traitements différents sur le plan du télétravail, ce qui peut créer des tensions.
Plus intéressant d’accepter un job à Paris
Le CES pointe aussi que, face à la pénurie de main-d’œuvre, ces problèmes peuvent peser lourd : «Il devient plus facile pour un jeune talent qui habite Metz, de chercher un emploi sur Paris avec trois jours de télétravail et deux jours de trajets en TGV, que de s’arranger avec les conditions luxembourgeoises», alerte le Conseil.
Ce qui pourrait pousser de plus en plus d’employeurs à admettre que leurs collaborateurs frontaliers dépassent les 25 % de temps de travail à domicile, quitte à ce qu’ils soient affiliés à la sécurité sociale de leur pays de résidence, avec des pertes colossales à la clé pour le Grand-Duché.
Le CES anticipe qu’à l’inverse, si le gouvernement cherchait des arrangements avec les pays voisins, de tels accords aboutiraient sans doute à un partage des recettes, ce qui aurait un coût pour le budget luxembourgeois.
Le CES recommande «un alignement vers le haut»
Pour ces raisons, le CES estime que le télétravail va marquer durablement l’économie luxembourgeoise avec un impact fort sur les activités locales comme le commerce ou encore la restauration.
Il recommande au gouvernement de «suivre de près les analyses et études qui sont et seront faites sur l’impact du télétravail sur les entreprises et administrations, et sur les travailleurs, afin d’avoir une vue multifactorielle de ce changement structurel du marché du travail».
À court terme, le Conseil préconise de rechercher, avec les trois pays frontaliers, un alignement vers le haut des seuils de tolérance fiscaux et de sécurité sociale.
Les effets du télétravail se ressentent fortement depuis deux ans dans le secteur de la restauration, surtout en milieu urbain et dans la capitale. Selon les calculs de l’Horesca, ce nouveau modèle pourrait bien réduire de 40 000 le nombre de clients potentiels par jour, alors qu’un salarié sur son lieu de travail débourse en moyenne 25 euros en restaurant et 15 euros en achats divers sur place.
Soit une baisse de chiffre d’affaires d’environ 350 millions d’euros par an pour le commerce local, hypothèse qui s’est avérée correcte pendant la crise sanitaire.
Quant à l’Horesca, il craint une perte annuelle de 110 millions d’euros, soit 0,18 % du PIB. Une baisse de recettes qui se traduirait par une perte de plus de 1 000 emplois, de 7,5 millions d’euros de cotisations sociales, de 5 millions d’euros de TVA et de près de 3 millions d’euros de retenue d’impôt sur salaires.