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Crise sociale: «Trop simpliste de botter en touche» pour Djuna Bernard


«On voit aujourd'hui que la politique énergétique menée depuis longtemps par les Verts se confirme dans les faits», affirme Djuna Bernard. (photo Hervé Montaigu)

À un an des élections législatives, Djuna Bernard, la coprésidente et députée de déi gréng, souligne l’urgence d’aider davantage les plus vulnérables de la société. Elle cible notamment la ministre libérale de la Famille.

Elle a gravi très rapidement les échelons après sa toute première élection, en octobre 2018, comme députée. Djuna Bernard peut-elle dès lors viser la tête de liste de son parti pour le scrutin de 2023 ?

La coprésidente de déi gréng botte en touche, sans cacher toutefois ses ambitions. L’élue originaire de Mamer lance ainsi les hostilités en ciblant la ministre libérale de la Famille et en condamnant les attaques haineuses menées par une frange d’élus du CSV.

Déi gréng ont vécu jusqu’à présent une législature très mouvementée, marquée par les affaires Traversini et Dieschbourg, mais aussi par la crise sanitaire et, désormais, la crise énergétique. Comment abordez-vous la dernière année avant les élections d’octobre 2023 ?

Djuna Bernard : En ce qui concerne le personnel, aucun changement n’est prévu. Les thèmes politiques à aborder sont déjà caractérisés par une grande fluctuation. Il est donc important de forger une stabilité dans notre équipe parlementaire et gouvernementale et d’offrir, ainsi, une constance aux citoyens, qui aujourd’hui sont fortement inquiets. Les bouleversements que le parti a vécus en interne n’étaient pas recherchés. Je pense néanmoins que nous sommes sortis renforcés de ces épisodes.

La charge de travail est déjà importante

Personnellement, vous avez gravi très rapidement de nombreux échelons pour être aujourd’hui coprésidente de déi gréng et vice-présidente de la Chambre. Est-ce que cela témoigne de vos ambitions personnelles en politique ?

Je suis quelqu’un de très actif qui est prêt à se jeter à l’eau. J’ose relever des défis. Dans certaines situations, j’ai accepté de me lancer en dépit des craintes et des incertitudes qui me guettaient. Mais si je l’ai fait, c’est grâce à l’entourage dont je bénéficie. On ne préside pas tout seul un parti, une fraction parlementaire est composée de plusieurs élus. Au moment où Henri Kox est parti pour le gouvernement, il nous fallait désigner un nouveau vice-président à la Chambre.

J’ai vraiment voulu assumer cette responsabilité. Il s’agit d’une question d’ambition, mais il m’importe aussi que la Chambre ne soit pas uniquement présidée par quatre hommes chevronnés. La présence d’une jeune élue au premier rang, avec la visibilité que cela dégage vers l’extérieur, équivaut pour moi à une mission et un devoir.

Je veux démontrer qu’il est possible de faire ses preuves en tant que jeune élue et qu’il ne faut pas attendre la soixantaine avant de pouvoir faire bouger les choses.

Malgré cette ascension, les sondages vous créditent d’une assez faible popularité. N’est-il pas envisagé, en vue des élections, de vous doter d’un poste encore plus important dans ce premier rang qui vient d’être évoqué ?

Je viens d’avoir 30 ans, je suis coprésidente d’un parti qui siège au gouvernement et vice-présidente de la Chambre. La charge de travail est déjà importante. J’espère toujours que les électeurs accordent leur confiance à un candidat à cause de la vision, des idées et du programme que ce dernier défend. Il me faut pouvoir transmettre tout cela de manière authentique. Grâce aux postes que j’occupe, il m’est possible de me positionner clairement.

Ni la présidence de la fraction ni un mandat de ministre ne sont donc envisageables avant le scrutin d’octobre 2023 ?

Ce n’est pas prévu, non. Je suis très satisfaite du travail accompli par notre cheffe de fraction, Josée Lorsché. Au gouvernement, nous disposons aussi d’une superbe équipe de ministres qui doivent continuer à travailler aussi bien jusqu’à la prochaine échéance électorale.

On aurait dû lancer la transition énergétique déjà 20 ou 30 ans en arrière

Ambitionnez-vous de devenir tête de liste pour les législatives ?

Pour commencer, j’habite à Mamer, commune qui, malgré sa localisation au centre du pays, fait toujours partie de la circonscription Sud. La loi électorale me permet toutefois de me présenter, comme en 2018, dans la circonscription Centre.

J’ai longtemps réfléchi à la circonscription que je devais choisir. Ma décision est désormais prise et je compte, en tant que députée sortante du Centre, me représenter dans cette même circonscription.

Est-il dès lors envisageable de vous voir défier, comme tête de liste, Xavier Bettel, Paulette Lenert ou encore Claude Wiseler ?

Cette décision devra être prise en équipe. Une toute première réunion de notre commission électorale, qui est appelée à trancher cette question, a eu lieu jeudi soir. Les listes de candidats seront établies dans les mois à venir. Des débats seront à mener en interne.

Mais je compte bien me mettre à la disposition de mon parti et apporter ma pierre à l’édifice au Centre, avec Sam Tanson, François Benoy – qui, je l’espère, sera élu bourgmestre de Luxembourg – et, a priori, François Bausch.

La crise sanitaire, à peine évacuée, a été suivie de l’agression russe contre l’Ukraine. N’est-il pas triste d’avoir dû attendre une telle crise pour prendre conscience de la trop forte dépendance énergétique à l’égard de la Russie ?

De toute crise, il sort toujours quelque chose de bon, même s’il est évident que je n’ai pas souhaité qu’une telle situation se produise pour faire changer les mentalités. La prise de conscience de notre dépendance force désormais nos sociétés et notre économie à tendre plus rapidement vers l’indépendance énergétique, qui ne sera possible qu’avec le renouvelable. En fait, on aurait dû lancer la transition énergétique déjà 20 ou 30 ans en arrière. Il existe enfin un consensus sur la question.

La transition écologique est renforcée dans l’accord tripartite

En Allemagne, le ministre vert Robert Habeck s’est néanmoins vu contraint de prolonger la durée de vie de deux réacteurs nucléaires et de relancer des centrales à charbon. Est-ce que, d’une manière plus globale, la crise actuelle ne risque pas de freiner le virage écologique ?

Cette inquiétude existe, mais il nous faut tenir compte du contexte d’urgence dans laquelle des décisions doivent être prises pour assurer l’approvisionnement en énergie. Robert Habeck agit à mes yeux de manière très responsable, car il ne remet pas en question les décisions prises sur le long terme pour sortir du nucléaire et du charbon.

En France, on voit que les centrales nucléaires n’ont pas résisté à la canicule de cet été. Cela démontre encore une fois les limites d’une technologie qu’on a recommencé à priser au printemps. On voit aujourd’hui que la politique énergétique menée depuis longtemps par les Verts se confirme dans les faits.

Au Luxembourg, la tripartite vient de décider de subventionner de manière indifférenciée des énergies fossiles comme le gaz ou le mazout. Déi gréng peuvent-ils se retrouver dans cette mesure après avoir plaidé dès la fin août pour une prime énergétique socialement plus ciblée ?

La tripartite n’est pas seulement composée de trois, mais quasiment de six camps avec le salariat, le patronat et le gouvernement, qui est lui formé de trois partis. Personne n’obtient tout ce qu’il souhaite. Notre percée était due aux inquiétudes grandissantes à la sortie de l’été sans qu’il y ait eu de véritable réaction politique. Le message était celui d’agir en urgence.

Si maintenant les mesures prises par la tripartite permettent de freiner l’inflation et donc la cascade d’index, insupportable pour les entreprises, on peut comprendre la démarche. De plus, la transition écologique est renforcée dans l’accord tripartite. Et puis, il m’importe énormément que l’on agisse sur le volet social.

Sur ce point précis, le manque de sélectivité sociale du « paquet de solidarité 2.0 » ne fait-il pas tache ?

Indépendamment de l’accord tripartite, ma revendication est clairement qu’on agisse davantage dans le domaine de la politique sociale. Je ne peux que lancer un appel pressant au gouvernement pour qu’il s’active. Je prends comme exemple la prime énergie, qui est liée à l’allocation de vie chère (AVC). Les bénéficiaires de cette allocation touchent automatiquement cette prime.

Mais les personnes qui sont désormais éligibles avec un revenu supérieur de 15 % au seuil de l’AVC doivent introduire une demande. La lourdeur administrative fait que les gens concernés ne s’y retrouvent plus. Ce constat vaut aussi pour les aides au logement. Il nous faut simplifier et automatiser les procédures.

Quels moyens voyez-vous pour sortir de la lourdeur administrative que vous dénoncez ?

Les offices sociaux auront un rôle important à jouer. Or ils manquent d’effectifs et souffrent d’un problème d’image. Il faut mener une campagne pour faire sortir de la tête des gens que l’office social est un bureau pour les pauvres. En ces temps de crise, il doit être mis en avant qu’il s’agit d’un guichet qui peut vous fournir une aide et un accompagnement proactifs.

Il serait en outre très simple d’adapter la loi pour prendre en compte l’indicateur socio-économique des communes afin de définir les besoins des différents offices sociaux. La ministre de la Famille se contente toutefois d’inviter les partis à inscrire de telles propositions dans les prochains programmes électoraux. Il nous reste pourtant une année avant le scrutin.

Connaissant l’ampleur de la crise sociale, il est trop simpliste de botter en touche. En tant que riche Luxembourg, nous avons l’obligation de venir en aide aux plus vulnérables. On ne peut pas attendre l’issue des prochaines élections avant d’agir.

J’ai décidé de ne plus accepter cette haine propagée contre les Verts

Avant l’été, la ministre des Finances a laissé entrevoir des adaptations ponctuelles de la fiscalité, notamment en ce qui concerne les monoparentaux. Au vu du coût du paquet anti-inflation, cette annonce pourra-t-elle se concrétiser dans les faits ?

Un consensus sur ce point a prévalu lors du grand débat sur la fiscalité mené en juillet à la Chambre. Si l’on sait que les monoparentaux sont un groupe de citoyens qui ont d’office de grandes difficultés à joindre les deux bouts, il est indispensable de les soulager. Je place donc de grandes attentes dans la présentation du prochain budget de l’État.

Récemment, un élu local du CSV a qualifié votre aile jeunes de « terroristes verts » et d’ »ordures ». Mercredi, le député de l’ADR Fernand Kartheiser s’est demandé quelles « revendications extrémistes» déi gréng voulaient poser dans le cadre de la tripartite (*).  Ces attaques risquent-elles de nuire à votre parti en vue des élections ?

Il s’agit d’un vocabulaire employé de manière très ciblée par le bord droit. On observe aussi à l’étranger que les Verts sont traités d’idéologues, de radicaux ou de parti qui se fait un malin plaisir de tout interdire aux gens. Je pense que nous menons une politique qui fait preuve de réalisme, qui tente d’emmener les gens avec nous et de poser les incitatifs, également financiers, pour faire avancer la transition écologique. La science, les chercheurs et aussi la jeune génération nous donnent raison de propager la vision d’un monde plus durable.

Et pourtant, les attaques restent fréquentes et très dures.

Les crises auxquelles nous sommes confrontés nécessitent des réponses qui ne sont pas toujours aussi faciles que veulent le faire croire des partis de droite. La réalité est bien plus complexe que ne le laisse transparaître un tweet de quelques dizaines de signes à peine. Cette tendance à légitimer des discours de haine, carrément criminels, est très inquiétante.

Le fait que le soi-disant grand CSV tolère qu’un de ses élus locaux nous traite de terroristes et qu’un de ses députés (NDLR : Laurent Mosar) félicite sur les réseaux sociaux les électeurs italiens d’avoir boudé les Verts et voté en faveur de partis fascistes et d’extrême droite me laisse bouche bée. Personnellement, j’ai décidé de ne plus accepter cette haine propagée contre les Verts. En tant que coprésidente du parti, il est de ma responsabilité de dire stop et de contrer publiquement de tels propos.

(*) Contrairement à ce que nous indiquions dans la version originale de cette interview, Fernand Kartheiser n’a pas traité déi gréng de «terroristes». Lors du débat du mercredi 28 septembre à la Chambre sur l’accord tripartite, le député de l’ADR avait utilisé le terme «extrémiste». La question a été reformulée pour citer correctement les propos de M. Kartheiser. Toutes nos excuses à l’intéressé.