Quand Moustafa Misto a décidé de prendre la mer avec sa famille, il ne rêvait que d’une chose : fuir la crise économique au Liban et vivre dignement. Il a péri en mer avec ses trois enfants, seule sa femme a survécu.
Cet homme fait partie d’une centaine de migrants parmi lesquels des Libanais et des réfugiés syriens qui ont embarqué à bord d’un bateau parti du nord du Liban et a coulé jeudi au large de la Syrie. Le Liban devient de plus en plus un point de départ d’embarcations illégales de migrants depuis le déclenchement en 2019 d’une grave crise économique et financière causée par des décennies de mauvaise gestion et de corruption d’une classe dirigeante quasi inchangée depuis des années.
À Bab al-Raml, l’un des quartiers les plus pauvres de la ville de Tripoli, dans le nord du Liban, la famille de Moustafa pleure sa mort à chaudes larmes. Les circonstances du drame sont inconnues pour l’instant. Soixante-treize corps ont été repêchés jusqu’ici et une vingtaine de personnes ont été secourues. Il s’agit du bilan le plus élevé des suites d’un naufrage de migrants depuis le Liban ces dernières années.
Chauffeur de taxi, « Moustafa ne rêvait pas d’obtenir une autre nationalité, mais tout simplement d’inscrire ses enfants à l’école et de les nourrir », a déclaré un de ses proches, Jihad al-Maneh. Ce dernier révèle que Moustafa a payé aux passeurs de 3 000 à 5 000 dollars par personne, après avoir vendu sa voiture et emprunté de l’argent à ses frères. Sa mère a même vendu ses bijoux pour lui venir en aide.
La famille de Moustafa, qui dit ignorer la destination du bateau, a essayé en vain de contacter le Premier ministre désigné, Najib Mikati, originaire de Tripoli. « Que font les responsables ? Nous ne savons pas si nos proches sont vivants ou morts », s’interroge nerveusement Jihad.
« Même si je meurs »
Depuis que la nouvelle du drame s’est répandue, parents et amis affluent au domicile de la famille endeuillée. Parmi eux Omar Misto, un ami d’enfance de Moustafa. « La pauvreté et les conditions de vie difficiles ont poussé Moustafa à quitter le Liban », a-t-il déclaré. « Je partirai même si je meurs. Soit j’y parviens, soit je meurs », n’avait-il de cesse de répéter, selon Omar.
Parmi les survivants, Wissam al-Talawi, un père de famille originaire du Akkar, autre région pauvre du nord du Liban, est hospitalisé en Syrie, a déclaré son frère Ahmad. Les corps de ses deux filles, âgées de cinq et neuf ans, ont été rapatriés au Liban et enterrés vendredi. La femme de Wissam al-Talawi et ses deux fils sont toujours portés disparus. « Ils sont partis il y a deux jours », a révélé Ahmad. « Au réveil, jeudi, nous nous sommes rendus compte que Wissam était parti ».
Wissam, qui travaille dans une entreprise de nettoyage, « n’était plus en mesure de couvrir ses dépenses et de payer les 10 millions de livres libanaises (environ 260 euros) nécessaires pour inscrire ses enfants à l’école ». « Aucun responsable n’a daigné se rendre en Syrie pour suivre le dossier », lance Ahmad.
D’autres proches de disparus ont indiqué qu’ils s’étaient rendus à la frontière libano-syrienne pour obtenir des informations sur le sort des migrants.