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[Album de la semaine] «Touch the Lock» d’UTO : cartographie mentale


Voilà un album singulier, qui ne fait pas le récit d’histoires, mais d’émotions. (Photo : Pain Surprises / InFiné)

Touch the Lock, d’UTO (trip-hop). Sorti le 25 août sur le label Pain Surprises / InFiné.

Leur nom évoque une présence venue d’un autre monde… L’effet sans doute recherché par les deux aliens d’UTO, qui disent être originaires de Paris mais qui pourraient tout à fait être débarqués des confins de l’espace.

Le village d’Augerville-la-Rivière, peuplé d’à peine plus de 200 âmes, où le duo s’est enfermé pour enregistrer Touch the Lock, est d’ailleurs probablement hors d’atteinte du télescope James-Webb… Avec UTO, on a le sentiment d’être happé à la fois dans le cockpit d’une soucoupe volante et en plein milieu de la nature, tout au long de ces quarante minutes qui ne ressemblent franchement à rien d’autre.

UTO, c’est une aventure musicale venue se greffer à une histoire d’amour, celle qui lie Émile Larroche et Neysa May Barnett depuis maintenant dix ans. Lui avait été un temps l’une des mille incarnations de l’éphémère scène electropop romantique française, adoubée par Les Inrocks, avec le groupe Saint-Michel; elle, artiste et littéraire, est venue à la musique par le biais de son bidouilleur de petit ami.

Murmures cristallins et allitérations

Bercés au trip-hop de Massive Attack et Portishead, tout comme aux aventures électroniques d’Aphex Twin, Air ou Björk, ils créent ensemble leur propre monde, avec, paraît-il, l’étrange méthode de toujours travailler chacun de son côté, et jamais dans la même pièce. Un goût du secret, si ce n’est de la surprise, que l’on peut entendre comme un élément central de leur musique et qui envahit les murmures cristallins de la chanteuse, rappelant ceux d’une autre de leurs références, Kim Gordon.

En français ou en anglais, les paroles marchent sur le fil qui lie la forme répétitive du mantra et l’expérience littéraire raffinée. En guise d’enivrante introduction, Délaisse joue avec brio sur les allitérations («Délaisse, déverse-toi, cesse donc cette messe noire (…) Allège, allège-toi, géniale est la joie autour de tes joues»), figure de style que l’on retrouve tout au long de Souvent parfois («Depuis des mois, depuis mes bois, je pense à ça, j’envoie des voix, j’ai mis les voiles, je me débats…»).

La langue de Molière sera utilisée une dernière fois à mi-album, quand UTO chante un extrait du roman de Georges Perec Un homme qui dort (1967), transformé en petite pépite pop (À la nage).

Des instantanés de sentiments

Voilà un album singulier, qui ne fait pas le récit d’histoires, mais d’émotions. La nature y est foisonnante, elle habite les paroles de Neysa May Barnett pour devenir des allégories intérieures, des instantanés de sentiments que le chant hypnotique rend organique. D’un bout à l’autre du disque, on chemine dans son «moi» comme dans une forêt labyrinthique dont on trouve progressivement l’issue.

Dans sa première moitié, l’atmosphère est pesante, monte en pression le long d’un Row Paddle et son motif de synthétiseurs qui donne une lourde impression d’enfermement (on pense autant à Billie Eilish période When We All Fall Asleep, Where Do We Go? qu’au Kanye West de Yeezus), avant d’exploser dans Heavy Metal, au titre qui n’est pas moins trompeur.

Puis dans sa seconde moitié, on écarte les branches et les feuilles pour retrouver notre monde, avec cette envie d’y aller à fond, violemment, comme le suggère la pochette (parfaitement héritée de l’imaginaire de la scène alternative britannique fin 1990-début 2000).

Avec Touch the Lock, UTO retrouve le concept un peu perdu d’album, sans pour autant en faire un «album concept». Difficile de prendre les titres à part les uns des autres, tant le duo s’immerge (et immerge l’auditeur) dans une cartographie mentale empreinte d’une fausse légèreté. C’est direct et pourtant complexe, angoissant et pourtant aérien… C’est en tout cas un grand album, assurément.