Jadis omniprésents au Japon, les bains publics, ou sento, sont en perte de vitesse depuis des années dans l’archipel. Mais certains d’entre eux innovent pour se revitaliser et rajeunir leur clientèle.
Le Japon ne compte plus qu’environ 1 800 sento, dix fois moins qu’à la fin des années 1960. Hommes et femmes séparés, on se trempe nu dans ces bains à l’atmosphère généralement surannée, ornés de fresques de motifs traditionnels comme l’incontournable mont Fuji. Les nombreuses fermetures de ces établissements atteignent aujourd’hui un nombre critique à cause de moyens insuffisants pour les rénover, de la flambée des coûts et de la difficulté de leurs propriétaires à trouver des successeurs.
Leur disparition risque d’éroder les liens sociaux de proximité. Car ce sont des «lieux de quartier où tout le monde se retrouve (…), dont beaucoup de personnes âgées qui vivent seules», souligne Sam Holden, un Américain de 32 ans installé à Tokyo depuis près de dix ans. «Sento et Quartier», l’association dont il est l’un des codirecteurs, a décroché une bourse d’environ 200 000 dollars du Fonds mondial pour les monuments avec le concours du groupe American Express pour sauvegarder Inari-yu, un sento de Tokyo datant de 1930, et transformer un petit bâtiment centenaire adjacent en un lieu de vie communautaire.
« Un sentiment d’urgence »
«Mes collègues et moi avions un sentiment d’urgence à vouloir préserver certains de ces édifices historiques avant qu’ils ne soient transformés en complexes d’appartements et autres choses», explique Sam Holden. Les tarifs des sento sont bas (500 yens à Tokyo, soit moins de quatre euros) car fixés par les autorités municipales qui les subventionnent. Mais contrairement aux onsen, les sources d’eau chaude naturelle au Japon, les sento chauffent généralement leurs bains au gaz, ce qui les fragilise face à la flambée actuelle des prix de l’énergie.
Selon Shunji Tsuchimoto, 60 ans, qui gère Inari-yu avec son épouse, la facture énergétique de son établissement a bondi de 50 % cette année par rapport à l’an dernier. Un autre sento tokyoïte, Koganeyu, a lui rouvert en 2020 après une rénovation complète pour se transformer en un lieu branché. Dans sa petite salle d’accueil en béton brut, de jeunes clients alignés sur des bancs dégustent des bières pression artisanales au son d’une pop japonaise rétro jouée sur des disques vinyles.
Détox numérique
«L’image que j’ai des sento, c’est un lieu où se rassemblent des papis et mamies», confie Kohei Ueda, un employé dans l’informatique de 25 ans venu à Koganeyu avec un ami. «Mais dans un sento comme celui-ci, plus à la mode et moderne, je m’y sens plus à l’aise», ajoute-t-il dans un rire. Pour augmenter sa fréquentation, Kom-pal, un autre sento tokyoïte, ne mise pas sur un style «hipster» mais plutôt sur la technologie.
Quand il a pris la direction de cet établissement géré par sa famille depuis les années 1950, Fumitaka Kadoya, 36 ans, s’est mis à analyser en détail les données de fréquentation du lieu selon les jours et les heures, ainsi qu’à promouvoir son sento sur les réseaux sociaux et à en mesurer l’impact. Cela a permis à cet ancien technicien du groupe japonais Olympus de prendre des décisions commerciales ciblées, comme recruter du personnel féminin pour encourager plus de femmes à fréquenter son sento ou encore à ouvrir le dimanche matin.
Les sento ont toujours fait partie de la culture japonaise!
«Les sento ont toujours fait partie de la culture japonaise!», rappelle Fumitaka Kadoya. Et de nos jours, laisser toutes ses affaires dans un casier pour se détendre dans un bain chaud peut être une sorte de «détox numérique», pense-t-il. «C’est exactement ce dont les jeunes gens d’aujourd’hui ont besoin.» Yasuko Okuno, une trentenaire qui écrit des articles sur un blog pour l’association des sento de Tokyo, voit ces bains publics comme un lieu idéal pour décompresser après son travail.
«Quand je suis allée dans un sento pour la première fois depuis longtemps, c’est comme si un poids avait soudainement disparu», se remémore-t-elle. «Il y avait un grand bain, et les habitués m’ont saluée gentiment et on a bavardé.» Avec le temps, «ça a commencé à ressembler à un deuxième chez-moi».