Patrick Dury, le président du LCGB, plaide pour l’unité syndicale en prévision de la tripartite qui s’annonce. Il souligne qu’au vu de la gravité de la situation socioéconomique, il faudra ficeler un paquet d’aides équilibré, profitant à la fois aux gens et aux entreprises.
Pas question d’aller trop vite en besogne. Patrick Dury reste assez prudent dans ses propos à l’approche de la nouvelle tripartite, qui devrait être lancée au plus tôt en octobre. Les premiers échanges bilatéraux, afin de préparer au mieux ce rendez-vous crucial, sont qualifiés de constructifs. Les trois syndicats nationaux – LCGB, OGBL et CGFP – sont décidés à rester unis face au gouvernement et au patronat. Patrick Dury répète toutefois que les trois parties de la négociation sont «assises dans le même bateau».
Avec un peu de recul, comment jugez-vous la réunion bipartite que le camp syndical a eue jeudi avec le gouvernement?
Patrick Dury : Les échanges ont été très constructifs. Les propositions que nous avons soumises en tant que syndicats, afin d’aborder la prochaine tripartite d’une autre manière que celle du printemps, ont été acceptées. Nous sommes tombés d’accord pour dresser un état des lieux détaillé, convenir d’un calendrier afin de nous réunir régulièrement et nous donner le temps nécessaire pour analyser les données qui seront mises sur la table. Le gouvernement partage ces principes. Pour le moment, nous avons donc toutes les chances de notre côté pour bien travailler ensemble.
Regrettez-vous la précipitation dans laquelle a été préparée et convoquée la tripartite au mois de mars?
Il faut remettre les choses dans leur contexte. Le 23 février, personne ne savait encore que, le lendemain, les Russes allaient vraiment envahir l’Ukraine. Tout s’est alors précipité. L’accord conclu fin mars a été le bon au vu de la situation dans laquelle on se trouvait à ce moment-là. La tranche indiciaire prévue pour juillet a été reportée, avec à la clé une surcompensation financière pour les bas et faibles salaires. Bon nombre d’autres aides ont été mises en œuvre. L’accord n’est pas si mauvais que cela, car il a bien été acté que, dans le cas où la situation se détériorerait davantage et qu’une nouvelle tranche indiciaire s’annoncerait, la tripartite se réunirait à nouveau. La donne a changé aujourd’hui et il faut toujours s’adapter à la situation à laquelle on est confrontée.
Il est hors de question d’abîmer l’index, peu importe de quelle manière
Malgré tout, les tranches indiciaires reportées, mais non versées, s’empilent. Jeudi, l’OGBL, mais aussi la CGFP, a déjà laissé entrevoir que les reports de tranches indiciaires doivent prendre fin. Comment se positionne le LCGB?
Il est clair que les trois syndicats vont se concerter avant d’entamer les négociations tripartites. Il est également clair que la situation est autre qu’au printemps. On pensait alors que l’inflation allait se calmer. Il nous faut néanmoins constater que peu importe le scénario, l’inflation restera très forte, aussi bien pour cette année 2022 que pour l’année prochaine. Comme évoqué, il faudra réagir de manière adaptée à cette situation. Il faut renforcer le pouvoir d’achat des gens, tout en tenant compte de la hausse des prix du gaz, du carburant ou de l’électricité. La discussion que nous allons avoir va aller au-delà de la seule question de l’index. Sans vouloir anticiper les négociations, il est toutefois clair que le LCGB est un ardent défenseur de l’index. Il est donc hors de question d’abîmer l’index, peu importe de quelle manière. L’index doit être préservé, et il nous faudra donc trouver une solution qui, d’un côté assure le pouvoir d’achat, et de l’autre maintienne les emplois.
Vous maintenez donc l’image choisie en mars qu’en fin de compte, salariés et employeurs sont embarqués dans le même bateau?
Je ne veux pas être mal compris. En tant que délégué du personnel dans la sidérurgie, j’ai vécu la fermeture des hauts-fourneaux avec 3 000 ouvriers qui ont perdu leur emploi du jour au lendemain. J’ai vu l’effet que cela a eu sur les gens concernés, même si la cellule de reclassement, mise en place avec l’État, a contribué à garder ces personnes financièrement à flot. Humainement, ils ont toutefois connu de très graves problèmes. Plus tard, en tant que secrétaire syndical, j’ai été amené à négocier des plans sociaux. Ces expériences m’ont profondément marqué et je reste donc d’avis que la sécurisation des emplois est complémentaire au maintien du pouvoir d’achat. Ce seront les deux priorités que le LCGB va plaider lors de la tripartite à venir.
Comment comptez-vous donc aborder la tripartite?
Si je peux le dire ainsi, personne n’a pensé que la crise provoquée par le covid pourrait encore être dépassée. Le déclenchement de la guerre en Ukraine amène une volatilité de la situation que nous n’avons pas connue lors des précédentes crises. Les doutes sont importants. Ce qui est juste aujourd’hui, peut demain, en raison de l’évolution de la guerre, être totalement faux. Ce qui a été justifié au printemps, ne l’est plus forcément aujourd’hui. Il nous faudra trouver des solutions, ensemble à trois syndicats, pour renforcer le pouvoir d’achat des gens. Et l’index ne doit pas être remis en question. Il est aussi hors de question qu’une tranche due soit supprimée.
Les prévisions du Statec, qui annoncent notamment une hausse du prix du gaz située dans une fourchette entre 80 et 140 %, font froid dans le dos. Vous, en tant que syndicaliste chevronné, quelle est votre appréciation de ces chiffres?
Il est clair que la hausse des prix de l’énergie – gaz, carburants et électricité confondus – a un lourd impact sur les gens et sur les emplois. De nombreuses entreprises ont un grand besoin en énergie pour pouvoir assurer leur production ou leur activité. Voici donc le contexte dans lequel il faudra trouver des solutions adéquates, pour les ménages et les entreprises. Je ne suis pas le porte-parole du camp patronal, mais il faut garder à l’œil que ce sont des gens, qui occupent les emplois. Il faudra donc ficeler un paquet qui permettra d’aider à la fois les salariés et les patrons. On est donc bien assis dans le même bateau pour éviter que la situation de guerre n’amène une crise sociale avec, à la clé, une vague de chômage et une perte supplémentaire de pouvoir d’achat. Lors de la crise sanitaire, nous avons réussi, grâce au chômage partiel, à maintenir l’emploi, en dépit d’un impact sur la situation financière des gens.
Au vu de la situation tendue, est-il rassurant de voir que le taux de chômage est au plus bas depuis longtemps, mais aussi que la croissance économique, même plus faible que prévu, reste acquise? Tout cela permet en effet aussi de maintenir à flot les finances publiques.
Comme mentionné plus haut, nous allons tout d’abord dresser un état des lieux. Si des recettes doivent être dégagées pour offrir une plus grande marge de manœuvre aux finances publiques, je tiens à mentionner l’impôt de solidarité introduit dans les années 70 et 80. Ceux qui ont un revenu plus élevé paient un impôt de solidarité plus important. Les entreprises qui génèrent des bénéfices versent également l’impôt de solidarité. Nous devons remettre sur la table ce genre d’idées, car des finances publiques saines sont la base pour pouvoir prendre des mesures d’aides. On n’estime pas que la situation soit tellement dégradée que l’État est paralysé, mais nous avons besoin d’un état des lieux détaillé avant d’entamer les négociations.
Jeudi, le patronat a également été reçu par le gouvernement. Sur base des échos obtenus, êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste en vue du bras de fer qui s’annonce lors de la tripartite?
Les syndicats auront à jouer leur rôle, et le patronat le sien. L’art sera de trouver un compromis en dépit des positions qui peuvent être opposées. Le rôle d’arbitre revient au Premier ministre. Sur les 40 dernières années, cet instrument de crise a toujours fait ses preuves, et ce sera encore le cas cet automne.
Le fait que l’OGBL n’ait pas signé l’accord tripartite de fin mars n’a donc pas négativement impacté la relation entre les syndicats?
Nous avons toujours dit regretter le choix de l’OGBL. Mais comme déjà souligné à plusieurs reprises, le LCGB a la volonté d’aborder la tripartite avec un front syndical uni. Nous avons tout intérêt à trouver ensemble un accord. Il faut avoir conscience de l’envergure de cette crise. Loin de moi l’idée d’être fataliste, mais nous ne savons pas quelle sera l’issue de la guerre ni son impact sur notre situation socioéconomique.
Les trois dernières années, avec d’abord le covid, puis la guerre, furent particulièrement éprouvantes, que ce soit pour le camp politique, syndical ou patronal. Comment vivez-vous ces multiples crises?
La dernière grande crise avant le covid fut la crise financière de 2008 et 2009. À l’époque ont été prises des décisions et mesures pour assainir le système financier. Lors de la crise sidérurgique, l’économie luxembourgeoise a connu une restructuration en profondeur, avec grand succès d’ailleurs. Ce qu’il faut constater aujourd’hui est qu’aussi bien la crise du covid que celle déclenchée par la guerre en Ukraine ont révélé au grand jour la trop forte dépendance de l’Europe envers des pays tiers. Le Luxembourg et son gouvernement doivent s’engager à l’échelle européenne pour que notre continent devienne plus autarcique et autonome. Nous restons confrontés à une forte dépendance pour nous fournir en médicaments, en gaz ou en carburant. L’Union européenne doit tirer les bonnes conclusions de cette double crise. Pas question de nous isoler, mais plutôt d’œuvrer davantage avec d’autres pays, tels que le Canada, qui respectent nos valeurs démocratiques. Et s’il nous faut travailler, notamment pour l’énergie fossile, avec des États autoritaires, il est important de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier. La plus grande erreur fut de nous rendre aussi dépendants de la Russie, ce qui nous expose au risque de chantage. Il existe une menace sur nos démocraties. Ce genre de scénario est à avorter au plus vite.
Il est tout à fait aproprié de renvoyer aux années 70 et 80 pour ce qui est de l’impos de solidarité. En effet, l’inflation se situe dans une fourchette identique: Si on applique la même logique à l’index, cela voudrait signifier un élargissement des tranches: Faut-il le rappeler, que jusqu’en 2002, une tranche indiciaire ne tombait qu’à partir de 3,5% de hausse des prix. Cela a l’avantage de maintenir intégralement la compensation des pertes de pouvoir d’achat tout en écartant l’échéance des augmentations pour les entreprises.