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Ukraine: après six mois de guerre, à quoi s’attendre ?


Dimanche soir, le président Volodymyr Zelensky a affirmé que "l'absolue majorité de notre peuple n'a aucun doute que nous parviendrons à la victoire de l'Ukraine". (Photo AFP)

Six mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le conflit ne semble pas près de se terminer et s’enlise, selon des experts. Combats et frappes russes meurtrières se poursuivent au quotidien. La guerre peut-elle durer des années ? Quelles sont les capacités à faire face des deux pays ?

Le conflit va-t-il encore durer ?

Les analystes ne voient aucune raison pour qu’il s’arrête. Pas de compromis ou de pourparlers de paix en vue non plus, au regard des positions extrêmement opposées. « On est dans un moment où le front se stabilise. Même si l’armée russe continue de tenter des offensives (limitées), on voit un essoufflement; Moscou est en position défensive sur une grande partie du front et une partie de son arrière en Ukraine », indique à l’AFP Dimitri Minic, chercheur au Centre Russie/NEI de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

« Il est possible que l’armée ukrainienne lance une opération d’ampleur pour reconquérir une partie de la région de Kherson, ou même la ville de Kherson, à court ou moyen terme », ajoute-t-il.

Pour Marie Dumoulin, directrice du programme Europe élargie du think tank ECFR (European Council on Foreign Relations), « étant donné qu’il commence à y avoir une forme d’équilibre des forces entre les deux parties, on est parti pour un conflit qui risque d’être très long », dit-elle à l’AFP. »On peut penser que cela va durer jusqu’en 2023″ au moins, selon elle, soulignant qu’un scrutin présidentiel est prévu dans les deux pays en 2024. « Est-ce que cela jouera et dans quel sens? ».

L’analyste politique russe Konstantin Kalatchev estime auprès de l’AFP que cela pourrait durer « encore des années ». « La Russie manque de ressources humaines, elle s’enlise. Mais l’Ukraine aussi, elle manque des ressources humaines pour contre-attaquer et elle n’a pas d’armes offensives lourdes ».

Les Ukrainiens peuvent-ils continuer à résister ?

L’hiver, avec probablement des coupures de courant et de chauffage, sera difficile pour la société ukrainienne. « Le pays est au bord du défaut de paiement; il y a 40% des écoles qui ne vont pas pouvoir ouvrir à la rentrée; il y a des pénuries de carburant », souligne Mme Dumoulin.

« Les Ukrainiens ont la volonté d’obtenir des succès au moins tactiques d’ici l’hiver, car cela permettra de remotiver les troupes et la société et de justifier aussi les demandes vis-à-vis des partenaires occidentaux », note l’experte. M. Minic souligne que l’armée ukrainienne a l’avantage d’un « approvisionnement en armes et matériels occidentaux qui peuvent être de dernière génération ou supérieurs à ce dont l’armée russe dispose, et les Ukrainiens ont l’avantage de défendre leur territoire et d’avoir un moral plus élevé ».

Le chercheur « ne pense du tout que la population ukrainienne soit dans une situation de balancer d’un côté ou de l’autre, ou d’être épuisée par la guerre au point de déstabiliser le pouvoir politique; elle fait bloc autour du gouvernement ukrainien ».

Dimanche soir, le président Volodymyr Zelensky a affirmé que « l’absolue majorité de notre peuple n’a aucun doute que nous parviendrons à la victoire de l’Ukraine ». « Nous sommes unis, nous avons plus confiance en nous maintenant que nous n’en avons eu depuis de nombreuses décennies », a-t-il ajouté.

Les Russes peuvent-ils faire face, notamment économiquement ?

« L’économie russe n’est pas actuellement en crise », souligne à l’AFP Chris Weafer, fondateur du cabinet de conseil Macro-Advisory. Le gouvernement utilise des recettes budgétaires de programmes économiques et industriels « pour financer l’armée et fournir des aides sociales et en matière d’emploi et de revenus ».

Marie Dumoulin relève que l’impact des sanctions « commence à se faire ressentir dans certains secteurs ». « L’Etat russe a des réserves; ils ont un matelas financier qui permet un peu de lisser les effets mais ça ne sera pas éternel », dit-elle. Les effets de contraction de l’activité pourraient commencer à se faire sentir fortement à partir de l’automne.

« Mais je ne pense pas que Vladimir Poutine renonce à sa guerre juste parce que l’activité économique a diminué », estime-t-elle. M. Kalatchev relève que les « réserves de patience » des Russes « sont bien plus grandes que celles des Européens ». « La Russie espère gagner par l’usure ».

A quels scénarios s’attendre ?

Le plus probable: celui de « l’enlisement ». « On peut assez raisonnablement tabler » sur ce scénario, selon Mme Dumoulin, « avec progressivement une lassitude qui va s’installer côté occidental et qui facilitera pas le soutien à l’Ukraine ». Les pays européens doivent gérer un mécontentement de leurs populations face à l’explosion des prix de l’énergie et des denrées alimentaires.

« On est dans une guerre de positions avec une modeste et lente conquête territoriale russe, et une défense acharnée d’une armée ukrainienne plus ingénieuse et agile », note M. Minic.

Pour Mme Dumoulin, « il y a aura sans doute un moment aussi où Poutine misera sur cette lassitude occidentale et fera des ouvertures (…) et incitera les dirigeants occidentaux à mettre la pression sur les Ukrainiens pour mettre fin au conflit, aux conditions de la Russie ». Même si c’est le scénario le moins probable, on ne peut pas exclure selon elle celui « où les Occidentaux poursuivent leur soutien à l’Ukraine et qu’à un moment l’espèce d’équilibre qui s’est établi entre les forces russes et ukrainiennes sur le terrain soit modifié au profit de l’Ukraine ».

Pour Dimitri Minic – qui rappelle les manifestations du mois de mars en Russie en opposition à l’invasion de l’Ukraine – « ce qui pourrait aggraver la situation entre le pouvoir russe et ce qui reste de la société civile, c’est une déclaration de guerre, la loi martiale ou la mobilisation générale ». « Cela serait difficilement gérable dans les grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg, où le discours anti-occidental obsessionnel a moins de prise », note-t-il.