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Nos dix romans indispensables pour cette rentrée 2022


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Pour cette rentrée littéraire d’été 2022, 490 romans (31 de moins que l’an passé) sont attendus d’ici la fin octobre. Comme chaque année, des délices de lecture en vue. En toute subjectivité, Le Quotidien a sélectionné les dix immanquables. Bonne lecture !

Chienne et louve, de Joffrine Donnadieu (Gallimard)

Une leçon d’écriture, qui cogne et qui swingue. L’écriture pétille, il y a du style. On lit : «Un silence, ça s’écoute, ça ne se prend pas à la légère; ça se brise en une fraction de seconde. Un silence entre deux mots est comme une perle dans son écrin.» Romy, 20 ans, débarque à Paris avec des rêves de comédienne. Pour payer le cours Florent, elle se retrouve dans une boîte de striptease à Pigalle.

Sexe et drogue, il ne manque que le rock’n’roll dans ce monde interlope où la solitude est l’ordinaire de vie. Romy loge chez Odette, une vieille fille de 89 ans. C’est la cohabitation du string à paillettes et du crucifix! Chienne et louve s’apprivoisent. Le livre impeccable du double «je» et, selon Régis Jauffret, «une fiction terrible et fabuleuse».

Chien 51, de Laurent Gaudé (Actes Sud)

Variant les plaisirs et, donc, les formes littéraires, Laurent Gaudé s’offre un détour dans le genre «anticipation sur fond d’enquête policière». On se glisse dans les pas du flic grec Zem Sparak, qui traîne dans une salle sombre, au troisième étage d’une boîte de nuit fréquentée du quartier RedQ, quasiment son QG. Défoncé à la technologie Okios, il retrouve l’Athènes de sa jeunesse, alors que son pays n’existe plus.

Zem est un «chien», un policier placardisé dont le job est de fouiller la zone 3 de Magnapole sous les pluies acides et la chaleur écrasante. À la levée du jour, on y retrouve un corps ouvert le long du sternum. Sous la direction de l’inspectrice de la zone 2, Zem retourne au boulot et enquête. Un roman de haut vol, dans le monde halluciné de demain.

L’événement : Le Livre des sœurs, d’Amélie Nothomb (Albin Michel)

C’est une belle tradition. Depuis 30 ans, Amélie Nothomb se glisse à chaque rentrée littéraire d’été sur les rayonnages des libraires comme en tête de gondole des grandes surfaces commerciales. Ce «nouveau Nothomb», au titre très basique (ce qui est assez rare), Le Livre des sœurs, court sur près de 200 pages et, comme les autres, va s’installer pour quelques semaines sur le podium des meilleures ventes. C’est ainsi, c’est Nothomb !

Et cette livraison 2022 est du meilleur niveau, n’en déplaise aux quelques nobliaux des lettres francophones, désespérés, qui décrient «une relation toxique entre Amélie Nothomb et ses lecteurs». Cette histoire de sœurs – qui, sûrement, fait écho à la relation fusionnelle que l’auteure entretient avec sa sœur, Juliette – ouvre sur un couple, Nora et Florent. Ils se marient et auront un premier enfant, Tristane. Une petite fille aux capacités intellectuelles extraordinairement développées mais éternelle «petite fille terne».

Les parents ne s’occupent quasiment pas d’elle et mettent en route un deuxième enfant pour que la petite ne soit pas seule. Viendra Laëtitia : «Deux planètes s’alignèrent de manière si exacte que s’éleva, audible pour ces seules enfançonnes, une musique qui ne devait jamais s’assourdir», écrit Nothomb… Au fil des mois et des années, Tristane s’imagine présidente de la République mais sera embringuée, presque de force, par sa cadette, qui la bombarde bassiste dans son groupe rock.

Il y a aussi Cosette, la cousine miséreuse dont Tristane s’est occupée comme d’une sœur. Grande technicienne de l’art de la narration, Amélie Nothomb fait encore évènement, bien loin des pitoyables descentes de pente qu’on nous vend comme littérature ultime.

Free Love, de Tessa Hadley (Bouquins)

Dans le huitième roman de Tessa Hadley, maîtresse dans «l’art d’explorer le réseau complexe des vies conjugales, amoureuses et sentimentales de ses contemporains», assure son éditeur, on découvre, dans l’Angleterre des années 1960, Phyllis, la quarantaine, jolie, mariée et éprise de Nicholas, le jeune fils d’amis de son mari.

Elle quitte le domicile conjugal et, bien qu’elle admette que son amant n’est pas l’homme qu’elle imaginait, tombe enceinte. Garde l’enfant, sera heureuse de l’élever… Cette histoire, on l’a lue et relue, mais ici, Tessa Hadley réussit le mix parfait entre Ibsen et Betty Friedan. C’est un grand livre sur la condition féminine, la découverte du droit à la jouissance et à la maternité, en jetant au loin les tabous.

Le Commerce des allongés, d’Alain Mabanckou (Seuil)

Alain Mabanckou ne tient pas en place, mais trouve le temps d’écrire. L’écrivain voyageur s’offre un retour à Pointe-Noire, la terre natale, en forme de fable politico-sociale. Le Mabanckou inspiré est un magnifique conteur, qui met en scène les aventures de Liwa Ewakingaï, un jeune Congolais dont le nom signifie «qui défie la mort».

Ce soir-là, il s’était fait beau comme un dieu, sapé dans l’espoir de conquérir en discothèque une belle; ce soir-là, il est mort… Quelques jours plus tard, au cimetière des pauvres de la ville, le «Frère-Lachaise», il fait la découverte de la vie. Les morts y sont très humains : un DRH, un musicien de rock, la «Femme-Corbeau»… Un texte salutaire qui rappelle avec élégance que même dans la mort, perdure la lutte des classes.

Qui se souviendra de Phily-Jo ?, de Marcus Malte (Zulma)

Qui se souviendra de Phily-Jo ?, le nouveau roman du toujours pertinent Marcus Malte, met une fois encore les nerfs du lecteur à rude épreuve, usés, mais l’auteur n’abusant jamais des mécaniques à la Usual Suspects. Le Phily-Jo du titre est un inventeur qui a mis au point la FreePow, une machine à énergie libre. Phily-Jo est mort soudainement.

Sa famille et ses disciples veulent savoir : meurtre ou suicide? Y aurait-il eu une conspiration menée par le grand capital tellement soucieux d’anéantir tout projet, toute réalisation favorisant des progrès humanistes ? En 570 pages menant jusqu’aux champs de pétrole et aux couloirs de la mort du Texas, Marcus Malte déroule un roman aux allures de poupées gigognes. Follement décapant, irrésistiblement saisissant.

Faire bientôt éclater la terre, de Karl Marlantes (Calmann-Lévy)

C’est la fresque historique et familiale de cette rentrée littéraire. Au fil de ses 608 pages, Karl Marlantes, 77 ans, déroule un voyage entre la fin du XIXe siècle et 1969, de la Finlande aux États-Unis. Une plongée dans la diaspora finlandaise avec une fratrie de trois. Menacé par la conscription dans l’armée russe, l’aîné, Ilmari, a fui direction l’Amérique, pour travailler avec les bûcherons finlandais dans l’Oregon.

Matti, lui, découvre l’engagement politique face au pouvoir russe puis aux patrons américains, tandis que leur sœur, l’impétueuse Aino, organise les bases d’un syndicat et mène des grèves violemment réprimées. L’écrivain américain rend hommage aux héros du tout-possible et offre un chant à la gloire d’une forêt ravagée par la folie humaine…

Le coup de cœur : Récitatif, de Toni Morrison (Christian Bourgois)

Parée de nombreux prix, dont un Pulitzer (1988) et un Nobel de littérature (1993), Toni Morrison, écrivaine libre et révoltée décédée en 2019, à 88 ans, a écrit des romans indispensables et une seule novella, qui sort en cette rentrée littéraire : Récitatif, court récit d’une centaine de pages écrit en 1983. L’auteure joue avec lectrices et lecteurs, les emmenant sur des pistes incertaines, glisse des détails qui peuvent laisser croire que… mais vite, d’autres surgissent pour entretenir l’interrogation. C’est le livre de la couleur cachée.

Qui est qui ? Deux gamines de 8 ans, Twyla et Roberta, se rencontrent dans un orphelinat et sont inséparables pendant quatre mois, à l’écart du groupe des grandes aux comportements de monstres. La mère de Twyla aime danser toute la nuit, celle de Roberta est plutôt BCBG… «On se comportait comme des sœurs séparées depuis bien trop longtemps. Ces quatre mois brefs n’étaient rien dans le temps. Peut-être que c’était la chose elle-même : juste le fait d’être là, ensemble.

Deux petites filles qui savaient ce que personne d’autre au monde ne savait : comment ne pas poser de questions», écrit l’auteure. Des années plus tard, les deux femmes se rencontrent par hasard. L’une, devenue serveuse, est heureuse de ces retrouvailles; l’autre laisse paraître quelque gêne, elle est «bien mariée» dans l’«upper class». Qui est la Blanche ? La Noire ?

Toni Morrison sait mieux que quiconque que, lorsqu’on évoque la race, la mémoire est une donnée difficile à manier. Ici, elle met au grand jour les travers et les préjugés d’une société confrontée à un mal profond. L’air de rien, jouant en permanence avec le non-dit, Récitatif est un monument de la littérature antiraciste. L’immense coup de cœur de cette rentrée d’été 2022.

Jefferson fait de son mieux, de Jean-Claude Mourlevat (Gallimard Jeunesse)

Catégorique, Jean-Claude Mourlevat se dit «simplement un raconteur d’histoires.». Le lauréat 2021 du prix commémoratif Astrid-Lindgren – le Nobel pour la littérature jeunesse – a imaginé une nouvelle aventure pour Jefferson le hérisson et son pote Gilbert, le cochon, quatre ans après la mémorable expédition Ballardeau.

Gilbert annonce à Jefferson que leur copine Simone, la lapine dépressive et souffrant chroniquement de solitude, a disparu… Ils se lancent dans l’enquête et découvrent que chaque mois, une somme importante est retirée sur le compte de Simone.

Y aurait-il, là-dessous, une affaire de secte ? Jean-Claude Mourlevat étrille les humains avides et ignorants de leurs proches et voisins dans un livre aussi allègre qu’intelligent, mi-polar mi-fable.

Où es-tu, monde admirable ?, de Sally Rooney (L’Olivier)

Outre-Manche, c’est l’unanimité : Sally Rooney est la plus belle sensation des lettres irlandaises du moment. Dans son troisième livre, entre roman et échanges épistolaires – par e-mails! –, on suit l’écrivaine Alice, la trentaine, qui a quitté Dublin pour la campagne après un succès étourdissant. Tandis qu’elle fait la connaissance de Felix sur un site de rencontres, Eileen, sa meilleure amie, restée à Dublin, retrouve Simon, un ami d’enfance.

Les deux femmes échangent chaque jour, sur le sexe, l’amour, l’argent, l’amitié, la politique… Sur ce monde qui fut admirable et qui ne tourne plus rond. Comment croire en des lendemains qui chantent quand la catastrophe paraît inéluctable? Un texte terriblement lucide, incandescent et qui sonne si diablement juste.

2 plusieurs commentaires

  1. On voit que vous les avez tous lu. Et Houellebecq, surévalué…

  2. Rien dans tout cela qui me fera oublier Balzac, Stendhal, Victor Hugo, Flaubert, Proust, Bernanos ou Camus, ni le seul vrai romancier contemporain: Houellebecq.