À la question de savoir où il faut classer Elephant Sessions, Euan Smillie n’a pas de réponse : «Nous sommes incapables de nous définir nous-mêmes», dit le violoniste du groupe qui a créé l’évènement le week-end dernier au festival Interceltique de Lorient.
Fusion, traditionnelle, rock, pop, electro, celtique…» La musique d’Elephant Sessions semblait vouée à faire danser la nouvelle scène «Le Kleub», dédiée aux musiques actuelles du festival interceltique de Lorient (FIL), dont la 51e édition s’est achevée dimanche soir avec une fréquentation record (900 000 festivaliers). Les quatre gars d’Inverness, au nord de l’Écosse, faisaient leur troisième passage au FIL, après deux singles parus en 2022 pour annoncer un quatrième album prévu en septembre, et à voir les bras désarticulés s’agiter dans la fosse du Kleub, ils étaient attendus.
Alasdair Taylor, joueur de mandoline et «headbanger» invétéré, attendait également cela avec impatience : «Avec le covid, on ne s’est pas vus pendant pratiquement un an, et le public pendant deux ans, mais nous avons toujours eu un accueil incroyable en Bretagne.» «La première fois que nous sommes venus à Lorient, en 2017, nous ne connaissions pas la France, nous avons joué deux fois chaque jour du festival devant 2 000 personnes, c’était « hardcore », mais une fantastique porte d’entrée», enchaîne le violoniste Euan Smillie, assis à ses côtés, quelques heures avant leur unique concert de cette édition 2022. Les yeux bleus perçants d’Euan illuminent son petit air de génie lorsque cette nouvelle scène du Kleub est abordée : «Je pense que c’est une bonne idée, il y a tellement de groupes qui peuvent s’épanouir dans un lieu comme celui-là.»
«Tous au même niveau»
Interrogé quelques jours avant le FIL, son nouveau directeur, Jean-Philippe Mauras, assurait vouloir remettre «l’intergénérationnel» au centre du projet. D’où l’idée du Kleub, ce nouveau lieu sans places assises, à mi-chemin entre salle de concert et boîte de nuit, un espace d’expression propre aux artistes émergents, «qui ont digéré les 30 ou 40 dernières années de la musique celtique et pour produire quelque chose de très moderne».
Une vision partagée par Alasdair, qui assure que «ça se passe partout maintenant, il y a énormément de jeunes groupes qui mixent toutes ces influences comme nous avons essayé de le faire depuis dix ans et en sortent quelque chose d’extraordinaire».
Une scénographie réfléchie et assumée
Chauffé à blanc par la fanfare techno Tekemat, un trio DJ-batterie-soubassophone en première partie de soirée, le public transpirait déjà plus que de raison dans la moiteur lorientaise encore en proie à une situation caniculaire au moment où les éléphants écossais sont montés sur le ring. Leur scénographie n’est pas spectaculaire d’emblée, mais réfléchie et assumée : tout de noir vêtus, à l’exception d’Euan, et tous sur la même ligne à l’avant de la scène, en rupture avec le concept d’«accompagnement» cher à la musique folk.
Personne n’accompagne personne parmi ses enfants des Highlands, c’est «tous au même niveau». Une distanciation avec la musique traditionnelle, pas réellement souhaitée, mais juste naturelle. «Quand tu regardes bien, seules nos mélodies sont issues de la musique traditionnelle, si on enlève le « fiddle » (NDLR : violon) et la mandoline, ça devient de la fusion ou de l’electro» dixit Euan, pour qui le nouvel album va de la « »heavy dance » à la pop « smooth »», «des sensations super» insufflées par leur nouveau producteur, Duncan Lyall.
Rapprochement entre générations
Le covid a été une période difficile, mais elle a accouché de quelque chose de neuf, selon Alasdair : «Avant, l’un d’entre nous arrivait avec une mélodie et les autres venaient l’entourer. Après le covid, on voulait passer du temps en studio et on a commencé à créer ensemble.» «Ça a changé beaucoup de choses, parfois on a l’impression de gâcher une journée, mais ça veut aussi dire que la musique peut partir dans n’importe quelle direction, c’est très excitant», s’enthousiasme Euan.
Un rapprochement entre musiciens et entre générations, comme en atteste le grand écart d’âge entre les danseurs au pied de la scène, ce qui est peut-être plus récent. «Nous sommes désormais invités à des festivals qui n’ont aucune racine traditionnelle ou folk, des évènements « world music », pop, « mainstream », et les spectateurs se disent : « Merde, mais c’est quoi, ça? »» poursuit Euan, avant de remettre leurs prestations en perspective. Elephant Sessions a joué «le même set (vendredi) soir dans ce night-club improvisé, (que la veille) à Pontivy, devant des gens plus vieux et assis. C’est très surprenant que ces gens si différents apprécient notre musique.» Le pari intergénérationnel du FIL semblait réussi.