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Le Forrest Gump de Bollywood, cible des nationalistes hindous


En 2015, la star de cinéma Aamir Khan avait exprimé un «sentiment de peur» face à l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Narendra Modi et de son parti nationaliste hindou.

La sortie, jeudi, du remake bollywoodien de Forrest Gump, avec la star Aamir Khan, de confession musulmane, a été ces derniers jours la cible d’appels au boycott que diffusent les suprémacistes hindous sur les réseaux sociaux.

La sortie, hier, de Laal Singh Chaddha, adaptation du célèbre film américain avec Tom Hanks Forrest Gump (Robert Zemeckis, 1994), était l’un des évènements cinématographiques les plus attendus de l’année en Inde, grâce à Aamir Khan, qui le produit et tient le rôle principal de ce film réalisé en hindi par Advait Chandan.

L’acteur des superproductions indiennes 3 Idiots (Rajkumar Hirani, 2009) et Dangal (Nitesh Tiwari, 2016) est, à 57 ans, l’un des plus «bankables» de Bollywood. Mais des extraits d’une interview qu’il avait donnée en 2015 ont soudainement refait surface sur les réseaux sociaux sur lesquels s’appuient un flot d’appels au boycott de son film lancés par des nationalistes hindous.

Dans cet entretien, Aamir Khan avait exprimé son malaise et un «sentiment de peur» croissant, suscité par l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi et son parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), au point qu’avec son épouse de l’époque, ils avaient envisagé de quitter l’Inde. «Elle a peur pour son enfant. Elle a peur de ce que sera l’atmosphère autour de nous. Elle a peur d’ouvrir les journaux tous les jours», avait-il alors déclaré.

Plus de 200 000 tweets, dont un grand nombre émane de partisans du BJP, portant le tag #BoycottLaalSinghChaddha, se sont déversés sur Twitter depuis le mois dernier. «Aamir Khan a épousé deux femmes hindoues et a pourtant nommé ses enfants Junaid, Azad et Ira», des prénoms musulmans, peut-on lire dans un tweet.

La comédienne qui joue à ses côtés dans Laal Singh Chaddha, Kareena Kapoor, «a épousé un musulman et a rapidement nommé ses enfants Taimur et Jehangir», relève-t-on aussi dans le même tweet, qui ajoute : «C’est une raison suffisante pour boycotter Laal Singh Chaddha, production du club Love Jihad de Bollywood. #BoycottLaalSinghChaddha» L’expression péjorative «Love Jihad», créée par les nationalistes hindous, stigmatise les musulmans en les accusant d’épouser des hindoues afin de les convertir à l’islam.

«Haine des musulmans»

Le BJP trouve ses origines dans le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), groupuscule militariste prônant l’«Hindutva», projet d’hégémonie hindoue. La fureur suscitée par le nouveau film d’Aamir Khan est telle que la star a dû cette semaine dans la presse faire part de son patriotisme, notion phare de l’idéologie du gouvernement. «Je suis peiné que certains (…) pensent que je suis quelqu’un qui n’aime pas l’Inde. Ce n’est pas le cas», a-t-il déclaré, «s’il vous plaît, ne boycottez pas mon film. S’il vous plaît, allez voir mon film».

Le cinéma de Bollywood et d’autres industries régionales suscite souvent la controverse et même la violence dans l’Inde cinéphile. Mais ce que subit Aamir Khan, une des multiples superstars musulmanes de l’industrie, reflète le climat d’intolérance, la marginalisation et la diffamation des musulmans qui, d’évidence, s’accentuent, s’inquiètent des observateurs. «Il ne fait aucun doute qu’Aamir est la cible de ceux qui sèment la haine des musulmans», a déclaré un observateur ayant requis l’anonymat, de peur de devenir lui-même une cible.

Cinéma de propagande

La plus grande démocratie du monde a une longue histoire de censure cinématographique, mais les défenseurs des droits affirment que Bollywood subit en plus une pression accrue pour s’adapter à la propagande nationaliste hindou du BJP. De plus en plus de films sortis récemment racontent des histoires patriotiques dont les héros sont des militaires et des policiers, généralement hindous, qui luttent contre des ennemis de l’Inde, de l’intérieur ou de l’étranger.

Cette année, le film The Kashmir Files, sur la fuite historique des hindous du Cachemire, il y a 30 ans, a fourni aux nationalistes hindous, qui l’acclament, un prétexte pour s’en prendre à la minorité musulmane. Les méthodes employées pour «subordonner les musulmans et les chrétiens de l’Inde à la communauté majoritaire (…) passent par la diabolisation de ces minorités et l’exigence de preuves de leur patriotisme», explique la critique de cinéma et écrivaine Anna MM Vetticad. Et, selon elle, «la tragédie de l’Inde est que la majorité de Bollywood (…) est soit apathique, soit opportuniste, ou bien a peur».