L’ombudsman estime que les critères demandés au travailleur frontalier afin de bénéficier de l’allocation familiale pour l’enfant du conjoint sont discriminants. Le ministère ne veut rien entendre.
La loi est dure, mais c’est la loi. Celle qui régit, depuis 2016, le droit à l’allocation familiale, est particulièrement cruelle pour les frontaliers qui subviennent aux besoins d’un enfant, parfois plusieurs, avec lequel ils n’ont pourtant aucun lien de filiation. Dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, l’allocation familiale, qu’ils touchaient jusque-là, leur a été purement et simplement supprimée.
Les enfants du conjoint ne peuvent plus être considérés comme membres de la famille du travailleur transfrontalier, tel que c’était le cas avant la réforme introduite par la ministre Corinne Cahen. Des recours contre de telles décisions de la Caisse pour l’avenir des enfants (CAE) ont été introduits auprès du conseil arbitral de la sécurité sociale et un arrêt du Conseil supérieur de la Sécurité sociale (CSSS) a permis de redresser une situation. Pour autant, les dossiers ne seront pas revus, comme le souhaite l’ombudsman dans une de ses dernières recommandations.
Une discrimination entre l’enfant résident et l’enfant non-résident
Le médiateur, Claudia Monti, propose au ministère de la Famille de communiquer officiellement pour avertir les frontaliers déboutés qu’ils peuvent réintroduire une demande de régularisation, sans condition d’apporter la preuve de la réalité de l’entretien de l’enfant. C’est là où le bât blesse. L’ombudsman soutient qu’il existe toujours une discrimination entre l’enfant résident et l’enfant non-résident.
Pour se mettre en conformité avec l’arrêt de la Cour européenne de justice de l’Union européenne, la Caisse pour l’avenir des enfants a mis en application différents critères qui prouveraient que le demandeur contribue à l’entretien de l’enfant. La CAE veut connaître l’activité professionnelle des parents biologiques, les modalités de garde et le versement ou non d’une pension alimentaire.
Seul critère valable : la résidence de l’enfant
« Si une telle manière de procéder peut sembler conforme aux décisions communautaires et nationales intervenues, le Médiateur estime qu’elle peut conduire au maintien d’un traitement différencié entre résidents et non-résidents, alors que de tels critères ne seraient appliqués qu’à l’encontre des demandeurs non-résidents ».
Le seul critère valable aux yeux des services de l’ombudsman, c’est celui de la résidence de l’enfant, hébergé sous le même toit que le travailleur frontalier. Une situation qui suffirait à prouver que l’enfant est bien entretenu par le demandeur.
Réponse glaciale
« En ce qui concerne votre recommandation de reconsidérer, sur demande, tous les dossiers de la période entre août 2016 et mars 2020, j’ai le regret de vous annoncer que je ne peux aucunement la supporter et je vous prie de prendre connaissance des développements du Conseil supérieur de la sécurité sociale quant à l’applicabilité de la loi de 2016 ». La réponse est sèche, et sans appel, de la part de Myriam Schanck, directrice de la CAE.
La CSSS a effectivement rendu plusieurs arrêts précisant tout d’abord les positions de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a reconnu que « la solution retenue par le législateur luxembourgeois heurte les principes régissant le droit communautaire, plus spécialement le principe de la libre circulation des travailleurs ».
Habiter sous le même toit ne suffit
Cependant, les magistrats ont ensuite défini les critères qu’il y a lieu d’appliquer pour remédier à cette situation. Toujours selon eux, la CAE ne saurait refuser de payer les allocations familiales à un assuré transfrontalier pour le compte des enfants de son conjoint à l’entretien desquels il pourvoit. Il doit juste le prouver. Les arrêts du Conseil supérieur de la sécurité sociale démontrent que parfois, alors que toutes les preuves sont rassemblées, les calculs aboutissent à un autre résultat.
Habiter sous le même toit ne suffit pas à prouver que le demandeur subvient à tous les besoins de l’enfant, alors qu’une pension alimentaire est versée tous les mois, et que la mère travaille. En revanche, quand des jugements viennent constater l’abandon de famille par le père biologique, les magistrats demandent à la CAE de reconsidérer le dossier.
Une famille n’a pas eu cette chance. Elle accueille un enfant placé par décision de justice et le travailleur frontalier avait introduit une demande d’allocation familiale. Malheureusement, l’enfant placé ne fait plus partie de la définition de membre de la famille. Demande rejetée et décision confirmée par le CSSS. Rien que la loi.