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[Made in Lux] Des hectares de chanvre, en toute légalité !


Norbert Eilenbecker (à dr.) est le seul cultivateur de chanvre du pays. André Steinmetz (à g.) a fondé Canad'Our, qui vend des produits dérivés. (photo JC Ernst)

Au nord du Luxembourg, on peut croiser des champs uniques en leur genre : des hectares de chanvre ! Quand on dit chanvre, on pense marijuana, cannabis, shit, bref: drogue et prohibition. Pourtant, à Kalborn, un agriculteur en vend par kilos. En toute légalité! Une plante extraordinaire, assure Norbert Eilenbecker, un pionnier très enthousiaste.

Un soir, j’étais dans le train pour rentrer à Luxembourg, quand je vois arriver des policiers avec un chien. Apparemment, ils étaient intéressés par un type louche qui était dans mon wagon… Sauf que le chien policier venait toujours renifler vers moi », s’esclaffe André Steinmetz. « Alors les policiers m’ont demandé si j’avais quelque chose sur moi. J’ai répondu que je revenais du champ de Norbert Eilenbecker!», rit-il de nouveau .

Un champ qui avait en effet de quoi affoler les narines du chien policier : c’est un champ de chanvre! Alors comme ça, on cultive du cannabis au Grand-Duché? «Bien sûr que non , sourit le cultivateur Norbert Eilenbecker , c’est du chanvre industriel.»

Les deux hommes nous accueillent dans le charmant village de Kalborn, tout au nord du Grand-Duché. D’un côté, André Steinmetz, membre fondateur de Canad’Our, une marque qui commercialise des produits à base de chanvre. Et de l’autre, Norbert Eilenbecker, un agriculteur bien connu dans la région, car il est le président de la Bauereninitiativ fir d’Eislek an den Naturpark Our (BEO), une association qui regroupe depuis 1994 plusieurs coopératives de l’Oesling et du parc naturel de l’Our. « On a la plus grande unité de pressage à froid d’huile de la Grande Région. On presse pour les agriculteurs du coin, mais aussi pour des Belges », explique-t-il.

Cette association produit huiles, moutardes, thé et autres produits locaux grâce à la transformation de plusieurs matières brutes comme le tournesol, le colza, le lin, le pavot, le sarrasin… et donc le chanvre.

Une culture longtemps interdite

Une plante qui a longtemps été indésirable : « Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis en ont interdit la culture dans le monde .» Pourquoi? « Parce que le chanvre est une plante miracle! (lire ci-dessous). Ils ne voulaient pas qu’elle concurrence d’autres produits comme le bois, le nylon… » Pourtant, « avant, on en cultivait au Luxembourg, certains grands-pères s’en souviennent! »

La ferme de Norbert Eilenbecker dispose de la plus grande presse d'huile de la Grande Région.

La ferme de Norbert Eilenbecker dispose de la plus grande presse d’huile
de la Grande Région.

Si certains pays ne respecteront pas l’interdiction, comme la France, qui deviendra le leader européen, d’autres, comme le Luxembourg, attendront 1995, « la première année où Bruxelles nous a autorisés à planter du chanvre industriel ».

Norbert Eilenbecker se lance aussitôt dans l’aventure. « La première année, la récolte fut difficile. La deuxième, on a quand même réussi à récolter les grains et la paille de chanvre. On a fait notre première huile luxembourgeoise de chanvre comme ça. »

Bien sûr, ses champs de chanvre ont créé quelques tensions : « On a eu du bazar avec les douanes. Ils nous ont appelé pour dire qu’ils avaient trouvé du chanvre dans nos champs et qu’ils faisaient des analyses », s’amuse-t-il. Et puis, il y a d’autres malentendus : « Aujourd’hui, on a encore des jeunes qui viennent en pensant que c’est pour faire du cannabis. Mais c’est du chanvre industriel, il y a un faible taux de THC (la substance psychotrope), moins de 0,3 %. Donc, ils viennent une fois, pas deux. » Ses critères sont plutôt le goût : « J’ai trois sortes de chanvre : français, ukrainien et finlandais. En les mélangeant, on obtient une huile vraiment délicieuse. » On goûte, surpris en effet par les arômes de noisette et d’herbe fraîche.

«Cette plante est trop forte!»

« J’ai maintenant 20 ans d’expérience, pas une fois, on n’a eu de problème avec le chanvre. Cette plante est trop forte, c’est magique! Elle pousse si vite que les plantes parasites n’ont aucune chance. Je n’utilise jamais de pesticides, pas besoin! »

Il sème généralement fin mai, avec une récolte en août-septembre. « C’est facile, on sème, et ça pousse tout seul, parfois de 10 cm par jour, et jusqu’à trois mètres. » Il consacre ainsi 10 hectares au chanvre. « Si on fait une bonne récolte, on a une tonne de grains par hectare, dont on peut tirer environ 200 litres d’huile. »

Car si tout est intéressant dans le chanvre, il préfère se concentrer sur les fleurs et les graines. André Steinmetz nous explique pourquoi : « Les graines servent à faire de l’huile, et les fleurs du thé de chanvre, des extraits concentrés… » Ces produits Canad’Our sont notamment disponibles dans les magasins Cactus.

« On est les seuls à produire du chanvre au Luxembourg », nous explique Robert. Pourquoi? « Ça, il faut le demander aux autres agriculteurs. Mais ça change. Cette année, de jeunes cultivateurs sont venus pour devenir membres de BEO, et je crois bien que ça commence à les intéresser… »

Romain Van Dyck

Trois avantages du chanvre

Une culture propre et rentable

Le chanvre est une plante particulièrement résistante aux maladies et dont la croissance rapide est peu demandeuse en énergie. Facilement cultivable sans OGM ni pesticides, le chanvre offre une culture avantageuse du point de vue écologique, d’autant qu’elle nécessite très peu d’entretien et quasiment pas d’irrigation. Avec un cycle de vie de 4 à 5 mois, le chanvre permet une culture rapide et, de fait, un rendement intéressant. La culture du chanvre s’avère aussi idéale pour préparer la terre à accueillir d’autres plantations. Pouvant atteindre 5 mètres, la plante étouffe les mauvaises herbes, laissant le sol propre. Plus encore : ses racines ramifiées qui évoluent en profondeur ménagent un sol meuble, donc facile à travailler pour l’agriculteur.

Une plante excellente pour la santé

Consommé sous forme de graines ou d’huile, le chanvre présente de nombreux bienfaits nutritionnels. Ses graines sont source de protéines, minéraux, vitamines et fibres, mais présentent surtout une teneur équilibrée en oméga 3 et 6. L’équilibre de ces acides gras dans l’huile et les graines de chanvre est idéal pour la santé des artères et pour faire baisser le niveau de cholestérol dans le sang. L’huile de chanvre, en plus d’être particulièrement riche en nutriments, est parmi les huiles qui comptent le moins de graisses saturées. Outre son utilisation alimentaire, l’huile de chanvre fait des merveilles en cosmétique grâce à ses propriétés hydratantes, nourrissantes, raffermissantes et régénérantes. L’huile de chanvre s’avère également efficace pour apaiser la sensation d’échauffement liée aux coups de soleil ou aux brûlures légères.

Un matériau à tout faire

La tige du chanvre est constituée de fibres extrêmement résistantes qui servent notamment à fabriquer du papier, de la toile ou des matériaux de construction, dont la qualité surpasse celle du bois. Le recours aux fibres de chanvre n’est pas nouveau. Les Chinois ont été les premiers à utiliser les tiges pour confectionner du papier, bien avant l’apparition du papier à base de bois. En France, à partir de Charlemagne, le chanvre est plébiscité, notamment pour la fabrication du linge, des cordages et des voiles de bateaux. Aujourd’hui, il entre dans la composition de pièces en plastique, ce qui permet de diminuer le recours aux matières fossiles. Les tiges sont également converties en matériau d’isolation, comme la laine de chanvre ou un béton obtenu avec le mélange de tiges et de chaux.

De haut en bas : huile, thé et teinture mère à base de chanvre.

De haut en bas : huile, thé et teinture mère à base de chanvre.