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Un portrait peu reluisant


Un procès complexe s’est ouvert face à la 13e chambre criminelle. Il doit durer deux semaines.

Saïd est soupçonné d’avoir maintenu son ancienne compagne sous emprise pour profiter de son patrimoine. Le prévenu nie, mais le portrait dressé par l’enquête ne l’avantage pas.

Saïd nie les faits. Sa défense, assurée par Mes Penning et Hellinckx, questionne la crédibilité de la victime présumée. Des experts ont décrit un phénomène d’emprise et conclu à des déclarations cohérentes de la part de cette dernière. Voilà qui donne le ton de ce procès complexe qui va se tenir durant ces deux prochaines semaines face à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Une quinzaine de témoins vont se succéder à la barre.

Le prévenu, un Marocain de 30 ans, est soupçonné de coups et blessures volontaires à de multiples reprises, de menaces, d’injures, de séquestration, d’extorsion ainsi que d’abus de faiblesse et de confiance à l’encontre de la victime présumée avec qui il entretenait une relation amoureuse depuis le mois d’octobre 2017 et de sa maman.

L’ancien époux de la victime présumée a prévenu la police après que le prévenu s’en serait pris à son ancienne belle-mère, ce qui conduira à son arrestation le 5 mai 2019. Ce jour-là, Saïd est accusé d’avoir enlevé sa compagne. L’unité spéciale de la police a retrouvé le couple dans une chambre d’hôtel à proximité de Niederanven.

Jusque-là, la jeune femme de 37 ans avait vécu dans la peur, notent les deux experts chargés de réaliser son expertise de crédibilité. Elle souffre encore de symptômes de stress post-traumatiques aigus. Le prévenu a assis son emprise au fil de cycles de violence entrecoupés de périodes de rémission de plus en plus courtes. Indépendante, la jeune femme a fini par «perdre tout esprit critique» au point, disent les experts, de se laisser berner par le prévenu en quête d’argent.

Saïd aurait, entre autres, vendu l’appartement de la jeune femme par le biais de son agence immobilière et ne lui aurait jamais transféré l’argent de la vente, il lui aurait fait signer un compromis de vente pour un autre appartement sous la menace et les coups sans qu’elle voie d’acte notarié, il aurait également eu la mainmise sur des appartements qui appartenaient à sa victime présumée à Junglinster.

Impuissante et incapable de mettre un terme à la situation, selon les experts, elle a fui en Chine, son pays d’origine, le 20 février 2019. Saïd est parti l’y rejoindre pour la convaincre de revenir. L’argent, avance un des experts, a été une des raisons pour lesquelles la jeune femme ne pouvait rompre la relation.

La victime présumée est allée de découverte en découverte grâce à la police ou à son entourage et comprendra petit à petit les mensonges du prévenu, notamment le fait qu’il était marié, avance un enquêteur. Saïd aurait, selon ce dernier, prétendu qu’un étage complet de l’hôtel Royal à Luxembourg était au nom de sa famille, qu’il avait des relations dans le monde politique et judiciaire et était colonel dans l’armée marocaine, qu’il était le chef de la plus grande mafia du Luxembourg ou encore que ses 15 frères pouvaient intervenir rapidement pour s’en prendre à la victime présumée ou à sa famille.

«Malin, dangereux et imprévisible»

À un autre témoin, il se serait présenté comme «un riche investisseur surtout actif à Dubai où mouillait son yacht», poursuit l’enquêteur. «Le témoin nous a décrit le prévenu comme très dispendieux et comme un bon acteur.» Les enquêteurs ont découvert une facture de 10 000 euros pour «une boisson froide» dans un établissement de nuit du quartier Gare à Luxembourg. Une ancienne secrétaire a détaillé aux policiers les méthodes de gestion peu orthodoxes du prévenu qui lui aurait demandé de ne jamais laisser de traces écrites. Elle l’a décrit comme un homme «colérique» dont la victime présumée avait peur.

«Il était malin, dangereux et imprévisible», a témoigné une amie de la victime présumée. Le trentenaire avait, selon les enquêteurs de la police judiciaire, tissé une toile de mensonges dans laquelle la jeune femme est tombée la tête la première. Décrite comme naïve et crédule, par les experts, elle est présentée comme l’instrument utilisé par le prévenu pour s’enrichir.

Avant de la rencontrer, le prévenu avait travaillé pour un entrepreneur qui l’a «traité comme son fils» et l’avait aidé à fonder son entreprise. Saïd aurait, raconte l’enquêteur, rompu tout contact avec l’entrepreneur jusqu’à son placement en détention préventive.

Sur le banc des prévenus, à quelques centimètres de son avocat, Saïd, grand, barbu à l’allure soignée, écoute attentivement et calmement le résumé de l’enquête par le policier avec un air étonné et prend régulièrement des notes. Le portrait dépeint du prévenu par l’enquête n’est pas des plus flatteurs. Intrigué par ces révélations, le tribunal a demandé au parquet de pouvoir entendre l’expert psychiatre qui a dressé son portrait psychologique.

Cet après-midi, ce sera notamment au tour de la maman de la victime présumée de donner sa version des faits.