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Coupée du monde, Aung San Suu Kyi risque des décennies de détention


Le 2 mars 2021 un manifestant tenant une affiche représentant la dirigeante civile Aung San Suu Kyi lors d'une manifestation contre le coup d'État militaire à Yangon. (photo AFP)

Où est-elle détenue ? Dans quelles conditions ? Comment se porte-t-elle ? Est-elle encore populaire ? Le point sur la situation de l’ex-dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, privée de liberté depuis le coup d’État de février 2021 et condamnée mercredi pour corruption dans un procès-fleuve.

Où est-elle détenue ? 
Depuis son arrestation au matin du coup d’État militaire du 1er février 2021, la prix Nobel de la paix, âgée de 76 ans, est assignée à résidence dans un lieu tenu secret, à Naypyidaw, la capitale construite par l’armée au coeur de la jungle.

Sous forte escorte des forces de sécurité, elle ne sort que pour assister à son procès qui a débuté en juin à huis-clos devant un tribunal spécial.

Elle assiste aux audiences assise derrière une barrière métallique aux côtés de l’ancien président de la République et co-accusé Win Myint, d’après les seules images diffusées par les médias d’État.

Ses avocats ont interdiction de s’exprimer devant la presse et les organisations internationales.

Quelles sont ses conditions de détention ? 

La junte reste très discrète sur ce point.

Aung San Suu Kyi vit aux côtés d’une dizaine d’employés de maison et n’est autorisée à lire et à regarder que les informations diffusées par les médias d’État.

L’armée a systématiquement rejeté les demandes de diplomates étrangers souhaitant la rencontrer.

Aung San Suu Kyi avait déjà passé près de quinze ans en résidence surveillée sous les précédentes dictatures militaires. Mais elle était autorisée à vivre dans sa maison familiale au bord d’un lac de Rangoun d’où elle s’adressait régulièrement à ses partisans réunis par centaines de l’autre côté de la clôture de son jardin. Aujourd’hui, son isolement est total.

La prix Nobel de la paix 1991 n’a semble-t-il pas de contact avec ses enfants, Alexander et Kim, nés en 1973 et en 1977 de son union avec l’universitaire d’Oxford Michael Aris, décédé depuis.

Elle a pour compagnie son chien Taichido, un retriever, offert en 2010 par son plus jeune fils.

Comment se porte-t-elle ? 

Son état de santé semble bon, selon une source proche du dossier, interrogée en début de semaine.

L’ex-dirigeante a toutefois manqué plusieurs audiences et a été parfois fatiguée par la fréquence de ses comparutions devant le tribunal (quatre fois par semaine).

Elle a été vaccinée contre le coronavirus et brièvement placée en quarantaine le mois dernier alors qu’un des membres de son personnel avait été testé positif.

Que lui reproche la junte ? 

Elle a été inculpée à de multiples reprises pour violation d’une loi sur les secrets d’État datant de l’époque coloniale, fraude électorale lors des législatives de 2020 remportées massivement par son parti, sédition, corruption…

Elle a déjà été condamnée à six ans de prison pour importation et possession illégale de talkies-walkies, violation des restrictions liées au coronavirus et incitation aux troubles publics. Elle a écopé de cinq ans supplémentaires ce mercredi pour corruption. Au total, elle risque des décennies de détention.

La junte a déclaré qu’elle purgerait sa peine en résidence surveillée jusqu’à la fin du procès. Ce dernier est dénoncé par la communauté internationale comme « une farce » uniquement motivée par des considérations politiques. Il est très peu probable qu’elle soit libérée avant des élections promises par la junte pour l’été 2023.

Vu son âge avancé, « il est même possible qu’elle finisse ses jours en prison », relève Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie à Human Rights Watch.

Est-elle encore populaire ? 

Même si son image internationale a été profondément écornée par son incapacité à défendre les musulmans rohingyas qui ont fui par centaines de milliers les exactions de l’armée en 2017, Aung San Suu Kyi reste une figure très populaire en Birmanie.

Pour marquer son 76e anniversaire, le 19 juin, de nombreuses militantes prodémocratie ont rendu hommage à « Mother Suu » en se faisant un chignon et en y mettant des fleurs, une coiffure caractéristique de l’ex-dirigeante.

Mais de nombreux opposants au régime militaire estiment que leur lutte doit dépasser la prix Nobel pour tenter d’en finir avec l’emprise des généraux, tout-puissants depuis des décennies sur la politique et l’économie birmane.

Des milices locales ont pris les armes contre la junte dans plusieurs régions du pays, à contre-courant du principe de non-violence prôné par Aung San Suu Kyi.