Nicolas Pegon, jeune auteur fan de blues-rock et de polar, imagine la quête de deux paumés en compagnie d’un chien abandonné, au cœur d’une Amérique au bord de la ruine. Avec Elvis en guest star !
Dès l’entame, féru de musique qu’il est – on lui doit le court métrage One After the Other (2018) sur la vie d’un jeune espoir du blues américain – Nicolas Pegon pose l’ambiance et sort la platine vinyle. Dessus tourne un classique des classiques, qui devint vite obsédant et que l’on fredonne machinalement : Hound Dog, un des premiers tubes d’Elvis Presley datant de 1956.
Pourtant, chez l’auteur, le «King» n’a plus rien du jeune loup à la belle gueule et aux déhanchés ravageurs. Il a pris de l’âge et revêt son célèbre «jumpsuit» blanc à paillettes qui a fait fureur à Las Vegas. Le début d’une décrépitude annoncée, un peu comme cette Amérique en fin de course qu’il dépeint.
Après un premier ouvrage tout aussi désespéré paru il y a trois ans (Les Os creux, la tête pleine) à l’enseigne Réalistes, créée par son ami, l’érudit Ugo Bienvenu, Nicolas Pegon revient à la charge avec ses hantises : celle d’un monde lézardé, usé jusqu’à la corde, aux visions apocalyptiques déboulonnant le mythe américain.
Dit comme ça, on n’est pas loin du roman noir sombre et angoissant, mais l’auteur y place avec intelligence des personnages touchants, antihéros à la ramasse, perdus dans une société bien trop grande et complexe pour eux. Comme le précise l’éditeur en évoquant Twin Peaks, il y a en effet chez lui un petit côté «lynchien», notamment pour ce goût de l’étrange qui, comme un orage qui gronde, pèse sur le quotidien «ordinaire» américain.
Par contre, pour ce qui est de l’autre référence, Charles Bukowski, on lui aurait préféré celle des frères Coen, bien plus juste pour dépeindre cette virée «funky», aux punchlines qui claquent et à la tragicomédie mordante. Bien sûr, c’est Fargo qui revient d’emblée en mémoire avec ce tandem de losers : d’un côté, César, gaillard taciturne dont le bras gauche ne fonctionne plus et qui multiplie les visites auprès de spécialistes qui répètent que tout ira mieux.
De l’autre, Alex, son copain de palier bedonnant, philosophe de comptoir hanté par les apparitions d’un Elvis spectral. Et au milieu, un chien «de chasse» qui tient plus du toutou que du fin limier, débarquant sans prévenir, comme dans un jeu de quilles.
Rapidement, le duo découvre que le propriétaire vient de mourir, et qu’il ne reste, de lui et de sa maison, qu’un tas de cendres. Alors, accident, suicide ou meurtre ? S’improvisant enquêteurs, les deux paumés cherchent la vérité au cœur d’une ville de Saint-Louis à l’atmosphère poisseuse, rencontrant au fil de leurs découvertes toute une galerie de personnages peu reluisante (une survivaliste musclée, un gardien de zoo allergique aux poils d’animaux, un dealer sans envergure, une employée de la SPA désabusée).
Hound Dog, comme un chien en laisse, traîne derrière lui une odeur de souffre : il y a, enchaîné au pied des immeubles, ce chien noir de l’enfer, et sous ses aboiements, l’annonce de l’apocalypse à venir (à moins qu’elle ne soit déjà passée).
La métaphore d’une mort lente d’un monde, qui se caractérise par cette enquête bancale dans une Amérique périurbaine délabrée, terrain vague géant où se morfondent les destins. Car ici ne restent que l’alcool, les drogues et les jeux vidéo pour se donner l’illusion de vivre.
Construit comme au cinéma – Nicolas Pegon avoue qu’une BD, pour lui, est un film qu’il n’a pas pu se faire – l’ouvrage ne tient pas seulement pour son découpage, adroit. Il y a également ce rythme, aussi indolent qu’un blues plaintif, et surtout, ce dessin aux gros traits noirs, rappelant Brüno ou Charles Burns.
Oui, dans ce drôle de polar, c’est l’obscur qui domine. Mais le chaos promis se fera sans orgue, ni trompette. Pas de cavaliers ou d’armées de morts non plus. Juste une ultime chanson, comme une complainte, avant le silence définitif.
Hound Dog,
de Nicolas Pegon.
Denoël Graphic.
L’histoire
César, homme sans but ni travail, et dont le corps se déglingue petit à petit, se réveille un matin avec un chien à ses côtés. Retrouver le propriétaire de la bête devient bientôt une quête obsédante dans laquelle il entraîne Alex, son pote et voisin, qui a un avis sur tout et raconte, à qui veut bien l’écouter, ses rêves bibliques avec Elvis. Ils partent ensemble sur la piste d’un accident. Meurtre ou suicide ? Le tandem ira jusqu’au bout pour connaître la vérité…