Il y a tout juste un an, à 31 ans, Fabienne a été diagnostiquée autiste Asperger. Elle témoigne de la difficulté à faire reconnaître ce trouble lorsqu’on est une femme.
«Un soulagement !» Après des années de suivis psychologique et psychiatrique, au cours desquelles différents troubles lui ont été diagnostiqués, il y a un an seulement, à 31 ans, Fabienne a enfin pu mettre un mot sur ses maux : elle est autiste Asperger.
Comme souvent en tant que femme ne présentant pas de déficience mentale – au contraire, Fabienne est haut potentiel – faire reconnaître ce trouble a relevé du chemin de croix.
C’est au cours du premier confinement que la jeune femme a commencé à se renseigner sur le trouble du spectre de l’autisme (TSA). «J’ai un cousin autiste, à l’autre bout du spectre (NDLR : lourdement handicapé), mais c’est tout ce que je savais de ce handicap. J’ai regardé par hasard une vidéo sur TikTok d’une femme qui parlait de son autisme. L’algorithme de ce réseau fait qu’on m’a suggéré de plus en plus de vidéos de ce type, dans lesquelles je me suis reconnue. Hasard ou destin, je suis aussi tombée sur La Différence invisible, de Julie Dachez, et je me suis dit en lisant cette BD « mais c’est moi ! »»
Plus jeune, son manque d’énergie constant, son immense fatigue l’ont obligée à manquer régulièrement l’école. Mais la situation est devenue réellement problématique lorsqu’elle a commencé à travailler, il y a une dizaine d’années. Elle consulte alors des professionnels de la santé mentale.
«Ils ont établi différents diagnostics. À ce jour, je ne sais pas encore s’ils sont vrais ou non, parce que souvent, pour les filles, des troubles secondaires sont diagnostiqués qui masquent l’autisme : dépression, personnalité borderline, troubles de l’attention, tocs… Mais je restais persuadée que quelque chose clochait.»
L’autisme semble en effet concerner majoritairement les garçons. Mais la capacité des filles à porter un masque social, à «se camoufler», au prix d’une extrême fatigue, pourrait contribuer à dissimuler le TSA.
«De base, il y a déjà plus de pression et d’injonctions sur les femmes», rappelle Fabienne, qui avait conscience de porter un masque de normalité et de ne jamais pouvoir être elle-même.
Mais faire illusion est extrêmement énergivore. Il faut à Fabienne plusieurs heures, plusieurs jours parfois, pour récupérer d’une activité, d’une interaction, ce qui l’empêche de pouvoir effectuer d’autres tâches, domestiques par exemple. Les autistes non verbaux exprimeront, eux, souvent ce mal-être par le biais de crises ou de cris.
Quatre garçons pour une fille
Le taux de prévalence de l’autisme est de 1 %. Il y aurait donc environ 6 400 personnes concernées par ce trouble neurodéveloppemental au Luxembourg. Au niveau des diagnostics, «il y a quatre garçons pour une fille», fait savoir Patrick Simon.
Toutefois, pour les personnes qui ne sont pas déficientes, le camouflage social dont semblent être plus pourvues les filles pourrait biaiser ces chiffres. Des études, encore contradictoires à ce stade, sont en cours pour mieux cerner le phénomène.
Haut potentiel
Après ses découvertes dans les réseaux sociaux, Fabienne contacte la Fondation Autisme Luxembourg (FAL). Après six mois d’attente, elle passe ses premiers entretiens avec les professionnels de la FAL, dont un psychiatre spécialisé en TSA.
Son test d’intelligence révèle un quotient intellectuel plus élevé que la moyenne. Elle parle de son enfance, passe des tests de lecture. Sa façon d’interpréter les images, sa créativité (dont manquent en général les personnes du spectre) et sa façon d’interagir sont analysées.
«Ce sont des tests reconnus au niveau international», explique Patrick Simon, responsable Communication de la FAL. «Les personnes parlent de leur enfance pour voir si les difficultés étaient présentes dès la naissance – l’autisme est un handicap avec lequel on naît et qu’on garde toute sa vie. Souvent, on demande aux parents de participer pour obtenir des informations sur les premiers mois de la vie. Les tests permettent aussi de développer les méthodologies pour aider la personne, en identifiant les domaines où elle est hyper ou hyposensible.»
Lorsque le diagnostic est posé, Fabienne sait que cette fois, c’est le bon : «Je me suis dit ouf ! Je sais enfin ce que c’est, je ne suis pas un extraterrestre !»
Elle ressent toutefois une pointe de «frustration» : «Cela arrive si tard… J’ai longtemps souffert en silence. Et puis, on ne me croyait pas toujours quand j’avais du mal dans certaines situations…»
Son entourage a très bien accueilli la nouvelle, même si sa mère a été un peu «choquée». En revanche, son psychiatre et son médecin traitant rejettent ce diagnostic pourtant établi par des spécialistes de l’autisme, provoquant chez Fabienne un sentiment de ne pas être prise au sérieux.
La théorie des cuillères
Le diagnostic a aussi permis à Fabienne d’adapter son quotidien, en apprenant par exemple à mieux gérer son énergie grâce à la fameuse «théorie des cuillères», métaphore qui permet d’équilibrer son énergie par rapport à ses activités quotidiennes. «Je sais désormais très clairement que j’ai besoin de plus de structure, de planification, de rituels pour limiter le stress.»
Elle a aussi compris qu’elle devait trouver un travail plus adapté. «S’il y a du bruit, je n’arrive pas à me concentrer. Travailler 40 heures par semaine n’est pas possible. Il me faut aussi éviter les contacts avec les clients, qui sont en général spontanés, car j’ai des difficultés avec cela, cela me rend anxieuse.»
Fabienne possède un statut de travailleur handicapé «pour une durée de deux ans, du fait de ses autres troubles diagnostiqués», mais cela ne lui facilite pas forcément la tâche.
«Le problème avec ce statut, c’est que l’Adem nous propose souvent des postes peu qualifiés. Ça me déprime de devoir travailler en dessous de mes capacités… J’ai juste besoin d’un peu d’adaptation. Je n’ai pas demandé tout ça. Je ne suis pas assez atteinte pour aller dans une structure, mais pas assez bien non plus pour aller dans le monde du travail», confie Fabienne, qui possède une licence de communication et aurait rêvé de devenir journaliste.
«Quand c’est mental, c’est difficile à expliquer»
Car c’est bien là le problème : loin de la vision commune de l’autiste soit lourdement handicapé, soit semblable à Raymond dans le film Rain Man, capable de compter en moins de 3 secondes les 246 cure-dents tombés par terre, Fabienne souffre d’un handicap qui, sur elle, ne se voit pas.
«Quand je postule pour un emploi en précisant que j’ai un TSA, les gens n’y croient pas. Si j’avais la jambe dans le plâtre, ce serait plus facile, parce que ça se verrait ! Quand c’est mental, c’est difficile à expliquer.»
Fabienne vit actuellement avec sa mère et son beau-père. Si elle envisage parfaitement d’avoir un compagnon, il en va autrement pour les enfants : «Ce serait trop difficile… Et puis, j’ai peur de la grossesse. Surtout, je ne voudrais pas mettre au monde des enfants qui pourraient aussi avoir ces troubles ou que je n’arriverais pas bien à éduquer.»
Plus d’information sur le site dédié à l’autisme au Luxembourg : www.fal.lu/
Elle aura dû attendre d’avoir plus de cinquante ans pour être diagnostiquée autiste Asperger… Dans son livre Celle qui souriait trop pour être autiste, Sylvie Sandeau raconte son parcours du combattant pour parvenir enfin à mettre un mot sur ce qu’elle appelle «ses bizarreries».
Car, comme elle le dénonce dans son ouvrage, l’autisme des femmes sans déficience mentale n’est pas toujours pris au sérieux par les professionnels de santé. Sylvie Landeau, mariée et mère de famille, témoigne des stratégies qu’elle a mises en place pour masquer ses difficultés relationnelles et la fatigue constante que le port de ce «masque de normalité» lui a imposée.
Avec une écriture fluide, l’autrice retrace des anecdotes de sa vie, de son enfance à aujourd’hui, et intercale des «pages focus», qui reprennent des éléments plus généraux, comme les manifestations de l’autisme chez les filles, les autodiagnostics ou les aides et les droits.
Son livre, truffé de références et de ressources qui permettront d’approfondir le sujet, rendra espoir aux femmes qui peinent à trouver des professionnels formés à l’autisme et sera une source d’informations agréable à lire pour tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur l’autisme féminin, qu’ils soient professionnels de santé ou non.
Celle qui souriait trop pour être autiste, de Sylvie Sandeau, aux éditions Tchou (19,95 euros).