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Biodiversité en danger au Luxembourg : «Les chiffres sont alarmants»


Jacques Pir, Simone Schneider, François Benoy (président) et Nora Elvinger, ont présenté hier le dernier rapport de l’Observatoire de l’environnement naturel. (Photo : Hervé Montaigu)

Alors que l’état de la nature est critique dans le pays, la fenêtre pour stabiliser la biodiversité se referme de plus en plus, selon l’Observatoire de l’environnement naturel qui pointe du doigt l’agriculture intensive.

Quasiment tous les indicateurs sont au rouge : le dernier rapport de l’Observatoire de l’environnement naturel, qui analyse l’état des différents habitats et des espèces sauvages qui peuplent le Luxembourg, est sans appel.

Ses conclusions sont très inquiétantes, en dépit des ambitions élevées du deuxième plan national de protection de la nature et des efforts importants déployés par un grand nombre d’acteurs étatiques, communaux ou d’ONG.

La situation des habitats et des espèces animales et végétales, notamment des oiseaux nicheurs de la campagne, n’a cessé de se détériorer depuis 2013 : 80 % des espèces ont atteint un niveau de conservation précaire.

Pas moins de deux tiers des habitats naturels luxembourgeois sont aujourd’hui dans un état mauvais ou «défavorable», le reste pouvant encore être qualifié de «favorable», tandis que les prairies maigres de fauche, riches en espèces, se font de plus en plus rares.

L’agriculture intensive pointée du doigt

En cause, l’agriculture intensive qui s’est accrue ces dernières décennies : «Nous avons analysé les causes de ce déclin et il est clairement imputable aux activités agricoles, loin devant l’urbanisation», indique Jacques Pir, professeur de biologie et membre du comité d’experts de l’observatoire. «L’agriculture est le seul secteur à avoir augmenté ses émissions de CO2 de 10 % depuis 2008, pour les mêmes surfaces.»

Pour les scientifiques, l’utilisation d’engrais chimiques, l’ajout de pesticides, l’apport en azote trop important (dû à un cheptel démesuré au Luxembourg) ou encore les fauchages qui s’enchaînent avec des engins toujours plus imposants sont autant de freins au développement de la biodiversité.

«Les modes de production agricoles intensifs ne laissent aucune chance aux espèces qui nichent dans les sols. Là où, avant, on effectuait deux fauchages par an, un premier en juin et un second plus tard pour le regain, il y en a cinq ou six désormais, pour faire de l’ensilage et nourrir les bêtes dont 70 % ne verront jamais le pâturage», déplore Jacques Pir. «La première coupe, mi-mai, fait qu’il n’y a plus de floraison, plus de fleurs, plus d’insectes, plus d’oiseaux des champs.»

La chaîne alimentaire perturbée

«C’est tout le bas de la pyramide de la chaîne alimentaire qui est en train de s’écrouler», résume Nora Elvinger, chercheuse en charge de la biodiversité au ministère de l’Environnement, également membre de l’observatoire. «Les chiffres sont alarmants. Ce sont les conséquences de la production en masse.»

Ce qui explique que des espèces soient déjà éteintes au Grand-Duché et que d’autres soient en grave danger : «Au-delà d’un certain seuil, la reproduction devient impossible. La perdrix grise, qui comptait 10 000 couples auparavant sur le territoire, se chiffre aujourd’hui à seulement six oiseaux», soupire le biologiste.

Le gouvernement doit revoir sa copie

Des mesures de protection doivent donc être prises de toute urgence, estime l’observatoire, qui recommande l’instauration d’objectifs chiffrés dédiés à la protection de l’environnement dans le nouveau plan stratégique national lié à la PAC.

«Le but est d’atteindre 30 % de prairies et 30 % de terres arables gérées de manière extensive, avec moins d’engrais, moins de pesticides et des cadences de fauche plus adaptées, permettant à la flore de se développer et aux oiseaux de nidifier», explique Jacques Pir.

Les experts soulignent que ces objectifs pourraient tout à fait entrer dans le budget de la PAC – 570 millions d’euros sur la dernière période avec le cofinancement national, portés à 588 millions pour la prochaine, qui entrera en vigueur en 2023.

«Les mesures mises en œuvre n’étaient pas ciblées jusqu’ici, ou peu efficaces, car appliquées à des surfaces réduites. Les budgets disponibles devraient être alloués à des initiatives qui ont fait leurs preuves en matière de biodiversité et non répartis selon le principe de l’arrosoir comme c’est le cas actuellement», relève l’observatoire.

Ses membres incitent le gouvernement à revoir au plus vite le cadre d’application de la PAC au Luxembourg, jugé «insuffisant» et à profiter de l’adaptation de la loi agraire pour tenter de sauvegarder les espèces et leurs habitats. Dans le même temps, ils proposent de réviser le plan national de protection de la nature et formulent toute une série de recommandations basées sur l’expérience acquise ces dernières années.

Le rapport complet est disponible en ligne sur environnement.public.lu

Des espèces aux bords de l’extinction

Parmi les 56 espèces animales visées par la directive Habitats régulièrement présentes au Luxembourg, 82 % se trouvent dans un état de conservation non favorable. Même pour celles qui s’en sortent bien pour l’instant, la situation se détériore : c’est le cas de la pipistrelle commune, désormais menacée de déclin.

Les autres grands perdants, dont l’état de conservation continue de se dégrader, sont la moitié des espèces de papillons, la majorité des chiroptères, notamment l’oreillard gris, et des amphibiens. D’autres sont en progression : c’est le cas du castor d’Europe, de la rainette verte ou du chabot commun.

Chez les 133 oiseaux nicheurs présents dans le pays, seulement 20 espèces augmentent, note le rapport, tandis que 34 sont en déclin, et 2 sont déjà éteintes. Plus d’un quart des populations d’oiseaux a ainsi subi une forte baisse depuis 2007.

Ainsi, des espèces autrefois communes et répandues au Luxembourg régressent : l’hirondelle, l’alouette des champs ou la perdrix grise risquent aujourd’hui l’extinction. La chouette chevêche est stable pour l’instant, grâce à des actions ciblées, mais en danger sur le long terme. Le faucon pèlerin, le grand-duc d’Europe ou encore la cigogne sont en progression.