L’Atlantide, île-cité de la Grèce antique engloutie par les flots, soulève une question qui persiste depuis Platon : mythe ou réalité ? Le problème anime aujourd’hui l’artiste vidéo italien Yuri Ancarani, qui en fait le titre de son premier long métrage. D’une part, parce que la véritable star du film est Venise, ville construite sur l’eau dont le réalisateur capture une image aux antipodes de la vision romantico-touristique qu’on lui connaît. De l’autre, parce que le film lui-même se joue de la frontière entre documentaire et fiction, le film étant né à partir de la rencontre entre l’artiste et les jeunes adultes de Sant’Erasmo, petite île de lagune vénitienne.
Une jeunesse qui n’a rien à voir, donc, avec ce que l’on peut attendre du lieu. Daniele (Daniele Barison), Maila (Maila Dabalà) et les autres ont quitté l’école, n’ont rien à faire et comblent le vide en s’évadant, figurativement ou littéralement, en particulier grâce au culte qu’ils vouent à leurs «barchini», les barques à moteur qui font partie intégrante de leur style de vie. Ancarani filme leur quotidien, leurs histoires d’amour, leurs rivalités, leurs rêves, avec le même regard existentiel qui avait animé, à une autre époque, tout un pan du cinéma californien – Vanishing Point (Richard C. Sarafian, 1971), Electra Glide in Blue (James William Guercio, 1973), Two-Lane Blacktop (Monte Hellman, 1971) – ou, plus récemment, le réalisateur français Bruno Dumont (Twentynine Palms, 2003).
«Néo-néoréalisme» vide de sens
Pour ces jeunes, Venise est géographiquement très proche (et tout aussi facile d’accès), et néanmoins très éloignée de leur réalité, qui consiste, peu ou prou, à fumer des joints, battre des records de vitesse en bateau et voguer sur les eaux de la lagune en faisant cracher à leurs haut-parleurs de la «trap» bien énervée. Les adultes sont, eux, inexistants. Il semble alors que l’accès à cette vie – réelle – relève du miracle pour Yuri Ancarani, qui est parvenu à gagner leur confiance à tel point que l’une des protagonistes s’inquiète, à un moment, de l’avenir du film, compromis par le comportement dangereux de son petit ami.
Il y a de très belles choses dans Atlantide, œuvre que l’on peut qualifier de «néo-néoréaliste» quant à son rapport physique et linguistique aux acteurs. Mais avec une durée qui avoisine les deux heures, on finit par se lasser d’un film qui semble aussi dénué d’objectif que la vie de ses personnages. Même son aspect le plus fascinant, cette zone grise où le réel fait irruption dans la fiction (et inversement), se vide de son sens. Heureusement, il reste les images transcendantes d’une ville méconnaissable, dont toute l’ampleur est révélée dans un final psychédélique, complètement déconnecté tant du réel que du fictif. C’est le plus beau moment du long métrage; dommage qu’il soit précédé de 90 minutes sans grand intérêt…
Ce mercredi, à 18 h 30. Jeudi, à 14 h.
Cinémathèque – Luxembourg.