En compétition au LuxFilmFest, Reflection, du cinéaste ukrainien Valentyn Vasyanovych, observe la guerre dans ce qu’elle a de plus sordide. Une œuvre importante et percutante, rattrapée par la réalité.
Les habitués du LuxFilmFest se souviendront sans doute d’Atlantis (2019), le précédent film du cinéaste ukrainien Valentyn Vasyanovych. Dans cette œuvre qui, à l’époque, pouvait encore prétendre à appartenir au genre de la science-fiction, l’artiste suivait l’amitié entre un soldat souffrant de stress post-traumatique et une jeune volontaire qui exhume et identifie les corps des soldats. Le film se déroulait en 2025, soit à l’issue d’une hypothétique guerre entre la Russie et l’Ukraine; Vasyanovych ne cherchait pas à mentionner qui avait gagné, puisqu’en réalité, tout le monde avait perdu. Le pays s’était transformé en un immense champ de ruines, la pollution de l’air et de l’eau avait ôté tout espoir de survie à ceux qui restaient. Atlantis n’était pas un film de fiction au sens où l’on entend généralement le cinéma de divertissement. C’était une mise en garde.
Malgré une première à la Mostra de Venise en 2019 et un tour du monde des festivals – dont Luxembourg –, Atlantis est resté inédit dans quasiment tous les pays du monde : on note, outre l’Ukraine, que le film a été distribué en salles en Norvège, aux Pays-Bas et dans quelques salles américaines. En Allemagne, le film a été distribué en vidéo à la demande au printemps 2021. On ne peut s’empêcher de dresser un parallèle entre le sort qui a été réservé à cette œuvre – pas des plus accessibles, certes – et le désintérêt de l’Occident envers la guerre du Donbass, et ce, malgré la crainte grandissante du peuple ukrainien de la possibilité, puis de l’imminence, d’une invasion russe à grande échelle dans le pays.
Plus rien d’une fiction
«Tout cela se produit au XXIe siècle», expliquait Valentyn Vasyanovych en septembre, lors de la première vénitienne. «C’est le résultat de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine et personne n’est protégé de cette agression.» À l’heure où nous écrivions ces lignes hier, la troisième session de négociations entre l’Ukraine et la Russie était encore en cours. La ville d’Irpin, en banlieue de Kyiv, était sous le feu ennemi et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, avait affirmé durant le week-end que les forces russes se préparaient à bombarder la ville portuaire d’Odessa. Tout cela n’a plus rien d’une fiction. Les acteurs d’Atlantis étaient des non-professionnels; ils tenaient dans le film les rôles qu’ils occupaient dans la vie. Ceux de Reflection sont de vrais acteurs, qui ont choisi aujourd’hui de prendre les armes et de combattre l’envahisseur russe.
Le nouveau film de Valentyn Vasyanovych, en compétition cette année au Luxembourg City Film Festival, a donc été rattrapé par l’actualité. Amené, par la force des choses, à revenir sur le sujet de son film précédent, le cinéaste en fait une sorte de «prequel». Le protagoniste porte le même prénom, Sergiy. Il n’est plus soldat mais chirurgien, qui essaie de tenir la guerre à distance mais qui voudrait tout de même aider. Un jour, Sergiy se fait capturer par les forces russes. Épargné grâce à sa profession, il sera exposé aux horreurs de la guerre.
«Nouvelle division du monde»
À son tour, le réalisateur n’épargne rien ni personne, avec des scènes de torture hyperréalistes, que le contexte rend toujours plus difficiles à supporter. Le film, dit-il, lui a été inspiré par un événement dont a été témoin sa fille de huit ans : un oiseau s’est écrasé contre la fenêtre de sa chambre. Une scène de plus tirée de la réalité qu’il a insérée dans son film et qui lui donne un leitmotiv, celui de la vitre (ou du miroir), qui protège Sergiy de l’horreur, même maquillée. Mais la caméra omnisciente de Vasyanovych montre l’autre côté : on recrée la guerre dans un jeu de paintball, on voit un patient, tripes à l’air, attendant d’être opéré…
Reflection est percutant parce qu’il lance une nouvelle alerte. Sans savoir qu’elle allait être la dernière… et arriver trop tard. Le Quotidien n’est pas parvenu à joindre le réalisateur, qui a décidé de rester en Ukraine, comme il l’a expliqué dans un court message transmis au festival. «Si on ne résiste pas à la politique agressive de la Russie, eh bien l’Ukraine va disparaître en tant qu’État indépendant», avertissait-il encore à Venise, pour le site Cineuropa. Avant de poursuivre : «La prochaine étape? Les pays baltes et les pays de l’ancien bloc socialiste. Peut-être que ça vous paraît exagéré ce que je dis, mais les ambitions impériales du gouvernement russe vont conduire à une nouvelle division du monde tel qu’on le connaît.»
Demain, à 20 h 30.
Utopia – Luxembourg.
Personne n’est protégé de cette agression