Tom Barrett, le nouvel ambassadeur des États-Unis au Luxembourg, se dit très préoccupé par l’agression russe contre l’Ukraine. Le diplomate souligne dans ce contexte l’importance de l’OTAN, mise au défi par Vladimir Poutine.
Depuis le 10 février, Tom Barrett assume officiellement la fonction d’ambassadeur des États-Unis au Luxembourg. La tension autour de l’Ukraine était déjà importante à ce moment-là. Moins de deux semaines plus tard, la guerre a commencé à sévir sur le continent européen.
Le nouveau représentant de Washington au Grand-Duché mène dans les coulisses un important travail de coordination avec les autorités luxembourgeoises afin de contribuer à la riposte commune des États-Unis et de la communauté européenne à l’agression russe.
Tom Barrett souligne l’importance de l’OTAN et le rôle que le Luxembourg doit jouer au sein de l’Alliance atlantique.
À peine un mois après votre arrivée, vous êtes confronté à une guerre en Europe, à deux heures de vol du Grand-Duché. Comment vivez-vous cette crise majeure ?
Tom Barrett : Il est très surprenant d’être confronté dès mes débuts comme ambassadeur à une telle crise majeure. Je m’étais préparé à cette nouvelle tâche en pensant que la plus large partie de ma mission consisterait à continuer de renforcer les très étroites relations qu’entretiennent les États-Unis et le Luxembourg.
Il était impossible d’anticiper que j’allais devoir faire face, au bout de quelques semaines, à la première guerre en Europe depuis 1945. Il est très dur de vivre cela en tant qu’être humain et en tant qu’Américain qui souhaite vivre dans un monde pacifique.
Quel rôle êtes-vous amené à jouer dans ce contexte de guerre ? On se rappelle que vous avez échangé dès le premier jour de l’invasion russe avec le Premier ministre, Xavier Bettel.
Toute notre attention se porte aujourd’hui sur l’Ukraine. Il nous faut définir comment on peut travailler avec les autorités luxembourgeoises et de quelle manière soutenir les efforts pour rétablir la paix en Ukraine. Pour moi, il y a trois domaines d’action sur lesquels on doit travailler ensemble.
Le premier est la communication. Des contacts permanents ont lieu entre les équipes de l’ambassade et les différents ministères concernés. Nous avons notamment partagé les informations récoltées par nos services de renseignement, y compris les grandes lignes des plans de Poutine.
Mais sans forcément savoir quand l’invasion allait être lancée…
On se doutait que cela se ferait dans un délai d’une ou deux semaines après la fin des Jeux olympiques d’hiver et que l’invasion allait avoir lieu sur plusieurs fronts, ce qui s’est confirmé.
Ces informations, on les a non seulement partagées avec nos alliés, mais aussi avec le public. Des sceptiques, voire des défaitistes, pensaient que les États-Unis réagissaient de façon excessive. Ils ont eu tort.
Quelles sont les deux autres domaines d’action que vous évoquiez ?
Le second est d’assurer la coordination entre le gouvernement luxembourgeois et les autres partenaires et alliés afin d’établir une riposte commune.
J’ai été très content de voir l’Union européenne s’accorder aussi rapidement sur le paquet de sanctions. Sur ce point, on a affaire à des défaitistes fustigeant la lenteur des 27 à s’accorder. Or l’UE a su réagir à la vitesse de l’éclair. La coopération vient compléter le tableau.
En ce qui concerne ce dernier domaine d’action, le Luxembourg a annoncé fournir, à son tour, des armes à l’Ukraine. Comment jugez-vous cette décision inédite ?
Je suis vraiment très enchanté et impressionné par la réaction du gouvernement luxembourgeois. Les États-Unis sont reconnaissants envers le Luxembourg pour cette initiative. Je pense vraiment que l’OTAN vit actuellement le moment le plus critique de son histoire. La Russie teste notre Alliance.
L’une des préoccupations majeures des Américains est de savoir si tous les pays membres sont disposés à revoir à la hausse leur contribution. Par le passé, le Luxembourg a été critiqué parce que ses dépenses en matière de défense n’étaient pas assez élevées. Le conflit actuel peut changer la façon dont les pays européens voient la nécessité des dépenses de défense.
L’ancien président américain Donald Trump s’était montré très pressant sur ce point. Qu’en est-il de la position de Joe Biden ?
Le fait que le Luxembourg consacre moins de 2 % de son PIB à sa politique de défense (NDLR : seuil minimal défini par l’OTAN) est en très grande partie dû à la taille réduite de son armée. Nous l’admettons. Or cette crise est un moment clé pour le Grand-Duché s’il veut démontrer son attachement à l’OTAN. Il en va de même pour l’Allemagne, qui vient d’annoncer une hausse considérable de son budget de défense.
Cette crise est un moment clé pour le Grand-Duché s’il veut démontrer son attachement à l’OTAN
Un message fort est ainsi envoyé à tous les membres de l’Alliance, y compris le Luxembourg, qui doivent comprendre l’importance d’apporter une plus grande pierre à l’édifice. Je suis très confiant quant au fait que le Grand-Duché comprendra que la crise actuelle constitue un test. Un test que le Luxembourg finira par passer avec brio.
Selon vous, quel est rôle que le Luxembourg peut jouer, en tant que petit pays, sur la scène européenne et internationale ?
Le Luxembourg est un allié de taille pour les États-Unis. Nous reconnaissons pleinement que le Grand-Duché, en dépit de sa petite taille, a une bien plus grande influence que l’on ne pourrait le penser. Beaucoup de gens ne sont pas conscients de la véritable influence du Luxembourg.
Votre pays a assumé un important leadership au sein de l’OTAN et à l’intérieur de l’Union européenne, non seulement au moment de la création de ces deux organisations, mais aussi dans leur développement. Aujourd’hui, il importe de renforcer à la fois l’OTAN et l’UE et j’ai confiance dans le fait que le Luxembourg va encore jouer un rôle majeur pour y parvenir.
Lundi dernier, vous avez participé à une réunion rassemblant les ambassadeurs des pays de l’UE, de l’OTAN, de Suisse et du Japon accrédités au Grand-Duché pour échanger notamment avec des représentants de LUkraine, l’association qui regroupe les Ukrainiens vivant au Luxembourg. Quel regard portez-vous sur cet échange ?
Ce fut une réunion très importante. Je suis très reconnaissant à l’ambassadrice de France, qui a organisé ce rendez-vous. L’initiative n’a été prise que le lundi matin. Malgré ce très bref délai, nous étions finalement 16 ou 17 ambassadeurs présents.
La réunion a permis de souligner la gravité de la situation en Ukraine, mais aussi d’être à l’écoute de la communauté ukrainienne et de prendre connaissance de leurs besoins. Cet échange n’a fait que confirmer l’urgence d’agir.
Votre mission est étroitement liée au mandat du président Joe Biden, élu jusqu’à fin 2024. Comment abordez-vous cette échéance ?
Les choses peuvent changer dramatiquement dans les dix mois à venir. Chaque nouveau président a de nouveaux défis à relever. Il y a encore six semaines, qui aurait cru qu’une menace pesant sur la paix mondiale allait figurer tout en haut de l’agenda ?
Aujourd’hui, les Européens et d’autres communautés à travers le monde s’inquiètent de leur avenir. Personne ne veut voir l’escalade continuer.
Face à cette menace, qui inquiète aussi fortement les Luxembourgeois, les États-Unis vont-ils rester aux côtés des Européens ?
Notre attachement à l’OTAN est plus fort que jamais. Je pense que cet engagement va encore grandir, grâce aussi à une Europe qui renforcera, à son tour, sa contribution.
Et je ne doute pas une seconde que le président Biden tiendra la promesse formulée lors de sa déclaration sur l’état de la Nation : « Les États-Unis défendront chaque centimètre carré du territoire de l’OTAN ».
Non loin de l’ambassade américaine se trouve le quartier européen. Dans quelle mesure pouvez-vous, en tant que représentant de Washington dans l’une des capitales de l’Union, contribuer à renforcer les liens entre les États-Unis et l’UE ?
Il faut savoir que les États-Unis ont un ambassadeur auprès de l’UE qui est en charge des relations entre Washington et Bruxelles. Néanmoins, le statut de Luxembourg comme capitale européenne fait que je vais également être amené à travailler sur nos relations multilatérales. Dans un premier temps, ma priorité a toutefois été de me focaliser sur les relations avec le gouvernement luxembourgeois.
Vous êtes originaire du Wisconsin, un État qui a accueilli au XIXe siècle de nombreux émigrés luxembourgeois. Le fait que vous avez pu nouer des liens avec la communauté d’origine grand-ducale, toujours installée non loin de votre ville natale Milwaukee, a-t-il pu jouer dans le choix du président Joe Biden de vous confier le poste d’ambassadeur au Luxembourg ?
Cela a certainement pu jouer un rôle. Lorsque le président Biden m’a proposé le poste, je n’ai pas hésité un seul instant, même si j’ai beaucoup aimé être maire de Milwaukee, un poste que j’occupais depuis 18 ans. La surprise a été grande lorsque j’ai annoncé avoir accepté de partir pour le Luxembourg.
J’ai tenu à expliquer aux citoyens de ma ville que je ne prenais pas la fuite, mais que je comptais aller de l’avant et saisir la nouvelle opportunité qui se présentait à moi et à mon épouse. Changer de profession est vivifiant.
Les premières semaines passées ici au Luxembourg ont-elles confirmé les impressions que vous avez pu vous faire sur le Grand-Duché au Wisconsin ?
Disons que j’ai trouvé chaussure à mon pied. Les gens que j’ai pu rencontrer ici pourraient tout aussi bien vivre au Wisconsin. Il n’y a donc pas eu de choc culturel, d’autant plus que j’ai toujours dit, en plaisantant, que j’avais fini par rencontrer toutes les personnes d’origine luxembourgeoise vivant dans le Wisconsin.
Tellement de personnes sont venues me voir pour parler de leurs parents et grands-parents. La communauté du Wisconsin a une grande estime pour les nombreux citoyens d’origine luxembourgeoise.
Au vu des liens que vous avez noués avec les Luxembourgeois d’outre-Atlantique, est-il dans vos intentions de renforcer la connaissance qu’ont les générations actuelles à l’égard de l’émigration de leurs ancêtres ?
Je suis en contact avec l’université du Wisconsin et l’université du Luxembourg afin de définir des projets sur lesquels on pourrait travailler dans ce domaine. Les opportunités de renforcer les liens entre nos deux pays sont nombreuses.
La guerre opposant la Russie à l’Ukraine vient d’ailleurs souligner le besoin de voir les États trouver des chemins pour construire et entretenir leur coopération, peu importe la taille des pays. Ce message doit être répété sans cesse.
Les relations commerciales sont un autre lien majeur entre les États-Unis et le Luxembourg. Votre prédécesseur a beaucoup mis l’accent sur le secteur spatial. Allez-vous lui emboîter le pas ?
La coopération dans le domaine spatial reste importante. Je dois néanmoins avouer avoir été surpris par l’ampleur du développement de ce secteur au Luxembourg. Des échanges avec les sociétés américaines qui ont pris leurs quartiers au Grand-Duché ont déjà eu lieu.
Il m’a aussi été possible de visiter les installations de SES. Nous nous efforçons de renforcer encore les liens dans ce domaine, tant entre les deux gouvernements qu’entre les entreprises actives dans ce secteur qui ne cesse de gagner en importance.
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