Sans grand entrain ni entraîneur, qui a rejoint l’armée ukrainienne, Sébastien Thill, dont les frères ont fui l’Ukraine, reprenait ce mardi 1er mars le championnat moldave avec le Sheriff Tiraspol.
L’image a fait le tour des réseaux sociaux, lundi soir : Yuriy Vernydub vêtu de l’uniforme de l’armée ukrainienne, lui qui portait encore il y a peu le survêtement du Sheriff Tiraspol sur les bancs de San Siro ou de Santiago Bernabéu, où son équipe avait, avec un but tardif de Sébastien Thill, signé fin septembre l’un des plus beaux casses de la saison sur la scène européenne.
Cinq mois plus tard, le technicien a donc décidé de quitter son club, avec qui il était sous contrat jusqu’en 2024, pour rentrer au pays et le défendre. Ce qui ne surprend qu’à moitié Sébastien Thill, dont les derniers jours auront décidément été compliqués, entre l’élimination – accessoire – en Ligue Europa, l’épique rapatriement de ses deux frères Olivier et Vincent au Grand-Duché et la démission du coach qui l’avait fait venir en Moldavie.
On imagine que vous n’avez pas beaucoup eu la tête au football ces derniers jours…
Sébastien Thill : C’est vrai que ça a été une période compliquée, et ça l’est encore plus quand tu as de la famille qui est là-bas. Tout le monde a eu peur. On était en contact permanent avec mes frères. Le premier jour, ils étaient bloqués car ils n’avaient pas de moyen de transport, ensuite dans les magasins il n’y a rien à manger, puis les pompes à essence ne délivrent que 20 litres de carburant…
C’est difficile pour t’organiser. Parfois, ils tombaient sur un bouchon, parfois la route était détruite, et les routes utilisables n’ont rien à voir avec celles du Luxembourg, donc c’était la galère.
Êtes-vous parvenu à vous focaliser sur votre métier, dans ces conditions ?
C’était plus compliqué, mais oui, j’ai su me concentrer. Quand tu joues au foot, quand tu es dans ton match, tu oublies un peu tout le reste pendant 90 minutes. Mais quand c’est fini, tu penses tout de suite à tes frères…
À Braga (NDLR : où le Sheriff Tiraspol disputait jeudi son barrage retour de Ligue Europa), juste après la fin du match, au contrôle anti-dopage, j’étais déjà en train de prendre de leurs nouvelles.
On nous a dit qu’il était parti chercher sa famille. Et puis, lundi, on a vu les images sur internet… On ne savait pas qu’il était avec l’armée
Votre entraîneur Yuriy Vernydub a quitté son poste lundi pour s’engager dans l’armée ukrainienne. Comment avez-vous accueilli cette décision ?
C’était déjà compliqué pour nous de revenir en Moldavie car l’aéroport était fermé. Il nous a quasiment fallu 15 heures pour revenir au pays. Dès qu’on est arrivés, il est parti, on nous a dit qu’il était allé chercher sa famille.
Et puis hier (lundi), on a vu les images sur internet… On ne savait pas qu’il était avec l’armée. On s’inquiète un peu pour lui, mais on espère qu’il va bien et sa famille aussi. Je le comprends en tout cas : si ma famille était bloquée là-bas, je ferais tout pour l’en sortir de là.
Le vestiaire a-t-il été surpris de ce choix ?
Il y a eu bien sûr de la surprise, mais quand on connaît le coach, qui se bat toujours pour nous, quand on connaît son caractère, on se dit que c’est assez normal.
En conférence de presse, si quelqu’un dit quelque chose de mal sur nous, il nous défend systématiquement. C’est un homme avec beaucoup de fierté, qui aime défendre ses proches et ses joueurs. C’était donc fort possible qu’il défende son pays.
Son départ prend forcément une résonance particulière pour vous : c’est lui qui vous avait fait venir au Sheriff.
C’est vrai que cette situation n’est pas très facile pour nous : on a vécu de beaux moments ensemble, et quand on pense qu’il n’est plus là et qu’il est peut-être en danger, forcément, on n’est pas au top. Désormais, c’est le deuxième et le troisième coach, ukrainiens eux aussi, qui nous entraînent.
La semaine a été un peu compliquée pour nous aussi : on n’est rentrés que vers 17 h-18 h vendredi du Portugal. Après le match, on nous a dit que l’aéroport était fermé, on a donc atterri en Roumanie, puis on a fait sept ou huit heures de bus. Les routes étaient « cata« , le bus était plein, on ne savait pas trop ce qui se passait ici, surtout qu’on est à la frontière. Des fois, tu lis des choses… C’est compliqué.
La Transnistrie (État indépendant autoproclamé où se trouve Tiraspol) est située à la frontière avec l’Ukraine. Vous sentez-vous potentiellement menacé, en danger ?
On n’est pas directement concernés, d’autant qu’on a l’armée russe ici. Rien ne laisse imaginer que la guerre est tout près d’ici. La femme d’un des coachs est à Odessa, où il n’y a pas de conflit, donc tout va bien. Pour l’instant, il n’y a rien de grave qui nécessite de fuir, en fait.
Mais avec deux joueurs, on a déjà préparé une voiture, mis le plein, et si un jour quelque chose se passe, on ne traîne pas et on se barre. Mais pour l’instant, on est tranquilles, la vie est normale, le championnat reprend, il n’y a rien de particulier. La vie continue.
Avec deux joueurs, on a préparé une voiture, mis le plein, et si quelque chose se passe, on ne traîne pas et on se barre
Il n’y a donc aucune raison, pour l’instant, que le championnat moldave s’arrête ?
Le lendemain du match à Braga, vendredi, on nous a dit qu’il était possible que le championnat s’arrête un peu, mais en fait il reprend. Depuis samedi, la Moldavie est en situation d’alerte pour une durée de 60 jours, ce qui veut dire qu’à tout moment ils peuvent prendre des mesures de sécurité.
Mais pour l’instant, le pays n’a aucun problème avec la Russie. On continue à vivre normalement. Nos entraîneurs adjoints ukrainiens aussi. L’un d’eux vient de Donetsk, ça fait bientôt dix ans qu’il connaît la guerre.
Le football paraît bien accessoire, dans ce contexte. Dans quel état et avec quelles ambitions abordez-vous cette deuxième partie de saison ?
On joue en match en retard aujourd’hui (NDLR : entretien réalisé mardi matin, avant XXXX), mais les autres ne recommencent à jouer que dans une ou deux semaines. On reprend avant tout le monde pour finir les matches en retard et mettre le calendrier à jour.
Physiquement, on est prêts : on a eu une longue préparation et on a déjà joué deux matches officiels (les barrages aller et retour de Ligue Europa contre les Portugais de Braga). Après, ce sont juste les nouveaux joueurs qui n’ont pas eu trop de rythme.
Mais on est tous prêts et déterminés à finir l’année en beauté avec deux titres, le championnat et la Coupe.
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