Une avocate témoigne avoir reçu chaque jour, pendant deux mois sans discontinuer, des appels téléphoniques anonymes. Une unique sonnerie, puis plus rien. Le silence et la peur.
Une victime de harcèlement est soupçonnée d’être devenue harceleuse à son tour. Au cours des mois de juillet et août 2020, elle aurait appelé une avocate à 118 reprises avec un numéro masqué. «J’ai eu des appels anonymes jusqu’au 4 septembre 2020, jour où elle a été convoquée par la police», note la victime présumée jeudi matin à la barre de la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, où elle était appelée jeudi matin. Elle ajoute : «Il y a certainement déjà eu des appels plus tôt auxquels je n’ai pas prêté attention.» Un relevé des appels reçus par l’avocate et analysés par la police montre que quatre appels ont été passés au mois de juin 2020.
Chantal avait consulté l’avocate en 2019 pour obtenir des conseils. Elle affirmait être harcelée par son employeur. «Notre unique entretien a duré trois heures. Elle était confuse dans ses explications, témoigne l’avocate. Je lui ai proposé de tout coucher sur le papier. Elle a accepté.» Après avoir compulsé la soixantaine de pages livrées par Chantal, l’avocate dit l’avoir convoquée pour obtenir des éclaircissements sur certaines contradictions que l’écrit n’aurait pas permis d’effacer. Mais l’avocate dit n’avoir plus eu de nouvelles de Chantal. Enfin presque.
«Le téléphone ne sonnait qu’une seule fois et cela raccrochait. C’était le cas plusieurs fois par jour», se souvient l’avocate, qui a indiqué avoir été très perturbée par ces appels téléphoniques anonymes à répétition. «Je me demandais qui pouvait bien penser à moi chaque jour ? Quand est-ce que cela allait s’arrêter ? Qu’est-ce qui allait suivre ? J’en arrivais à suspecter des confrères.» Quand elle apprend l’identité de sa présumée harceleuse, l’avocate ne comprend pas les raisons de cet acharnement : «Je ne l’ai pas maltraitée», s’étonne-t-elle.
Elle espérait obtenir des réponses lors de cette audience. Peine perdue. Chantal, petite bonne femme blonde aux yeux cerclés de khôl et emmitouflée dans une veste en imitation de peau de bête féroce, ne sait pas elle-même pourquoi elle a passé ces appels. «Je n’étais pas consciente d’avoir téléphoné aussi souvent», ne cesse-t-elle de répéter alors que le président de la 7e chambre correctionnelle tente de comprendre son geste. «La touche « repeat » de votre téléphone était-elle bloquée ?», lui demande-t-il sans obtenir de réponse. «Cela pouvait aussi bien être un tueur en série à l’autre bout du fil. Vous avez fait de sa vie un enfer !» L’interrogatoire tourne au monologue et Chantal garde pour elle la raison de son geste.
Une projection de ses rancœurs
Selon l’expert en neuropsychiatrie, la femme de 58 ans n’a jamais eu l’intention de menacer sa victime présumée. Son comportement aurait été celui des resentful stalkers, des harceleurs rancuniers. La prévenue a, selon lui, projeté toutes ses rancœurs sur l’avocate. «Ce groupe de harceleurs passe rarement à l’acte, indique-t-il. Ils se limitent à de la terreur psychologique à distance.» L’expert estime que Chantal ne présente aucune dangerosité et est accessible à une sanction.
Une sanction que la représentante du ministère publique a fixée à 9 mois de prison assortis d’une amende appropriée. Chantal a, selon elle, importuné l’avocate à dessein. Elle aurait dû savoir que ses appels affecteraient la tranquillité de l’avocate et constituaient une atteinte à sa vie tant privée que professionnelle. Mais la prévenue semble ne pas s’en être rendu compte.
Selon les enquêteurs, Chantal a reconnu n’avoir passé que six appels à l’avocate et a dit avoir raccroché tout de suite après avoir réalisé que ces appels n’étaient pas utiles. Les autres appels auraient été passés par quelqu’un d’autre. Pourquoi pas quelqu’un qui lui aurait volé son répertoire téléphonique, a-t-elle expliqué aux enquêteurs. Elle n’aurait pas réalisé que les appels téléphoniques émis d’un téléphone fixe pouvaient être retracés au même titre que ceux passés avec un smartphone.
«Elle est confuse, farfelue et pas à une contradiction près», reconnaît son avocate, Me Simon, qui pense que ses centaines d’appels étaient «un appel à l’aide» dans un moment de grande détresse. «Je suis persuadée qu’elle ne sait vraiment pas pourquoi elle a passé tous ces coups de fil.» Elle plaide en faveur d’un sursis probatoire ou d’une amende. Elle demande surtout au tribunal d’éviter la prison à sa cliente.
Le prononcé est fixé au 24 mars.