Toujours animé à l’idée de réinterpréter l’actualité du monde, au flux ininterrompu et assommant, l’artiste dévoile ses nouveaux travaux, qui parlent d’apparences et de «liquidité» moderne. Découverte.
Du côté de la Konschthal, le rideau rouge se lève sur une phrase lumineuse, faite de néons, attribuée à Oscar Wilde – mais en réalité reprise de William Shakespeare : «The world is a stage, but the play is badly cast» («Le monde est une scène, mais la pièce est mal distribuée»). Comme il le reconnaît lui-même, Filip Markiewicz n’aime pas aborder de manière «frontale» les problématiques modernes qui le hantent. Son œuvre totale, à l’apparence multiple (vidéo, sculpture, peinture, dessin…), s’amuse ainsi à semer dans son sillage des leurres et autres indices entortillés. Un jeu de piste qui s’apprécie donc sur plusieurs niveaux de lecture.
C’est le cas d’«Instant Comedy», réunion toute fraîche qui, pour le commissaire Christian Mosar, est une «suite logique» du travail de l’artiste que l’on a pu notamment apprécier au Casino en 2018 ou récemment au Mudam (dans une exposition collective). Mais histoire d’y voir un peu plus clair, il déroule quand même un fil rouge, sur lequel on peut alors tirer : «Il est ici question de rapidité : celle de la transformation des images et des informations», soutient-il. Ce que confirme Filip Markiewicz, évidemment : «Tout est devenu liquide, impalpable. Une information du jour est fausse le lendemain. On ne sait plus ce qui est vrai ou erroné. L’Histoire elle-même est remise en question. Plus rien ne se tient !»
«Comment faire passer les vérités dans un contexte soumis aux codes des apparences ?»
Dans son viseur, les réseaux sociaux et ses excès, la médiatisation à tout crin, l’omniprésence de l’image et la vacuité du message qu’elle véhicule… Pour mieux aborder ces sujets délicats, l’artiste les place sur une scène fictive, sorte de «théâtre dans le théâtre» qui, aujourd’hui encore, est un «prisme qui permet de dire les choses les plus dures et violentes» et, par ruissellement, «d’en parler». C’est ce qu’il fait à nouveau ici, s’octroyant toutefois un vrai moment de dramaturgie avec cette vidéo d’Euro Hamlet, pièce qu’il a mise en scène en août dernier à Weisswasser (Allemagne), et dans laquelle il pose une question qui synthétise une bonne partie de ses réflexions : «Comment faire passer les vérités dans un contexte soumis aux codes des apparences ?».
Titre de l’une des chansons tirées de son dernier album, sorti en novembre (Ultrasocial Pop), «Instant Comedy», s’étalant sur deux étages, emprunte «tous les codes du spectacle», selon l’artiste qui, pour le coup, dévoile de nouvelles «obsessions». On y trouve, certes, d’anciennes productions qui lui collent à la peau, comme ces imposants billets de banque trafiqués ou ses toiles XXL sur les migrations ou le partage des richesses. Mais l’ensemble, joliment mis en valeur dans une scénographie muséale «léchée», «irréelle et charnelle», révèle de nouvelles allégories.
Un ensemble dont les différents contenus s’influencent et se transposent d’une forme artistique à l’autre, à l’instar de ses peintures et sculptures réalisées ces deux dernières années sur fond de musique (des sessions DJ accompagneront d’ailleurs l’exposition durant trois mois). Il y a donc ces étranges formes en bronze poli, inspirées des figures humaines en marche d’Umberto Boccioni (1913), aux formes modifiées, et désormais «presque impossible à décrire», dixit Christian Mosar. Il y a aussi ces nombreux tableaux aux silhouettes mi-humaines, mi-robotiques, accompagnées d’éléments synthétiques dansants. Des «formes molles» ou, selon le commissaire, une «liquidité moderne» à l’image de ce monde devenu douteux et illusoire.
Bien sûr, Filip Markiewicz a gardé quelques vieux réflexes qui font sa signature, reconnaissable entre toutes, notamment l’utilisation de textes, voire de slogans minimalistes simplement «tagués», et le soutien d’icônes populaires qui agitent ses œuvres aux couleurs tape-à-l’œil. Ici, le portait enjolivé de Michel Houellebecq. Là, un autre de Laura Palmer (héroïne de la série Twin Peaks). Ou encore les personnages de Toy Story, premier film à succès entièrement produit par ordinateur, rappelle-t-on sur place.
Parmi les plus marquants, celui du de Niro de Taxi Driver, intitulé VOLK, avec sa crête punk et son badge où l’on peut lire «We are the people», œuvre la plus récente qui permet de mieux saisir l’art du détournement – ou de la récupération – de l’artiste. Dans sa version allemande, l’expression «Wir sind das Volk» date en effet de la dissolution de la RDA, mais a été reprise lors des récentes manifestations antivax… Oui, en cette époque «bizarre, absurde et dangereuse», tout s’effiloche. Filip Markiewicz, lui, ne sait pas s’il doit en «rire ou (en) pleurer». Sûrement les deux. Indécis, il aurait finalement pu, comme par le passé, laisser Nietzsche conclure : «Nous avons l’art afin de ne pas mourir de la vérité».
«Instant Comedy»
Konschthal – Esch-sur-Alzette.
Jusqu’au 22 mai.