La Fondation Idea épingle les contradictions du gouvernement en matière de politique fiscale liée au logement et rappelle que la crise que traverse le pays ne date pas d’hier.
Mis au défi par un utilisateur de Twitter, l’économiste Michel-Edouard Ruben s’est penché sur la crise du logement au Luxembourg et la façon d’y remédier. En s’appuyant sur l’histoire du pays depuis le début de l’ère industrielle et sur des constats plus récents, l’expert qui œuvre au sein de la Fondation Idea (Chambre de commerce) formule ses recommandations dans un document présenté mardi à la presse.
Un rapide coup d’œil dans le rétroviseur montre d’abord que le sujet préoccupe la société luxembourgeoise depuis bien longtemps : «Peu importe où on se situe dans l’histoire moderne du Grand-Duché, les débats parlementaires, les angoisses de la population, les projets de loi révèlent toujours une crise du logement. C’est une constante», affirme-t-il. Une crise qui prend différentes formes selon les périodes : tantôt des prix trop chers, tantôt un parc insalubre, tantôt des habitations en quantité insuffisante, etc.
Aujourd’hui, c’est avant tout l’explosion des prix qui inquiète – le prix moyen du m2 au niveau national est passé de 4 011 euros en 2010 à 7 564 euros en 2020 (voir infographie) –, tout comme la pénurie de logements disponibles : on estime ainsi qu’il manque 30 000 unités pour faire face aux besoins alors que la population ne cesse d’augmenter.
Or, si l’économiste reconnaît volontiers que l’objectif de l’accession à la propriété, poursuivi jusqu’ici par tous les gouvernements, est couronné de succès, il met en garde sur la portée limitée des mesures que peut mettre en œuvre le gouvernement face à la flambée des prix : «On ne peut pas nier que la possession immobilière s’est démocratisée ces dernières décennies. Le taux de propriétaires est passé de 59% en 1981 à 68% en 2020 alors que, dans le même temps, le nombre de ménages a explosé et que les prix se sont envolés», souligne-t-il.
«Mais on doit admettre que la capacité du gouvernement à influencer les prix est limitée, car ils sont liés à des facteurs qui dépassent la sphère politique : disponibilité du crédit, taux d’intérêt, pouvoir d’achat des ménages, démographie, le fait que le pays soit petit, que les gens se marient plus tard, les règles d’urbanisme, d’environnement, la préférence pour un lieu au détriment d’un autre, etc.»
Ainsi, pour la Fondation Idea, ce n’est clairement pas sur les prix que les efforts gouvernementaux doivent se concentrer – sans compter que dans un pays de propriétaires, leur augmentation satisfait en réalité la majorité : «L’objectif ne doit pas être la baisse des prix immobiliers mais une distribution plus équitable des aides et des mesures fiscales», tranche Michel-Edouard Ruben.
Un système qui «aide les riches à s’enrichir»
L’économiste cite l’Observatoire de l’habitat dont une récente note révéle le côté non redistributif de la politique fiscale, et pointe un système qui «aide les riches à s’enrichir» : «Beaucoup de gens dénoncent une situation injuste mais, avec l’augmentation du Bëllegen Akt par exemple, qui figurait dans les programmes de tous les partis aux dernières élections, on va encore plus loin dans ce sens. Idem dans l’accord gouvernemental. Or, il y a quand même quelque chose d’incongru, voire d’anormal, à accorder 40 000 euros de Bëllegen Akt, 50 000 euros de TVA logement, et 4 000 euros de déductibilité d’intérêt les cinq premières années à un couple qui achète un logement à 1 million d’euros, peu importe ses revenus ou sa fortune.»
Selon lui, ces aides doivent être repensées d’urgence et soumises à des conditions de ressources, tandis que celles accordées aux bailleurs doivent être conditionnées à la pratique de loyers abordables. Et pour soutenir les locataires, dont la situation est souvent peu enviable – 30% d’entre eux déboursent près de 40% de leur revenu disponible rien que pour le loyer –, la Fondation Idea propose l’instauration d’un crédit d’impôt : une fraction des loyers versés qui pourrait être déductible du revenu imposable.
En filigrane se dessinent des mesures destinées à modeler la propriété privée au service de l’intérêt général. Ce pour éviter que la crise du logement ne débouche sur une grave crise sociale, comme l’écrivait la commission parlementaire dédiée au Logement dans un rapport publié en novembre… 1990.
Six ans de salaire pour s’acheter 100 m2
Rapprocher les prix immobiliers des revenus permet d’apprécier les conditions d’accès au logement à une période donnée, même si cela doit être nuancé par le fait que les taux d’intérêt ne sont ici pas pris en compte, ni les aides de l’État à l’accession à la propriété.
Selon les chiffres du Statec, en 1990, il fallait deux années de salaire à un couple dont chacun gagnait le salaire moyen pour acquérir 100 m2. En 2008, ce couple déboursait plus de trois ans et demi de salaire pour acheter la même surface. En 2019, cinq années de salaire étaient nécessaires pour se payer 100 m2, et en 2020, quasiment six années.